Avec Escherichia coli pour modèle, Ivan Matic et François Taddei sont parvenus à observer un mode de vieillissement inédit impliquant la descendance clonale des bactéries. Cette découverte est fondamentale pour le décryptage des mécanismes moléculaires du vieillissement chez l’Homme.

Le mystère du vieillissement

Chez tous les organismes multicellulaires, les effets de l'âge sont identiques : le taux de mortalité croit exponentiellement, la probabilité d’avoir des descendants diminue et les fonctions biologiques se détériorent progressivement. Pourtant, les mécanismes moléculaires qui contrôlent cette dynamique du vieillissement demeurent largement méconnus.

Les bactéries, elles, ne présentent ni stade juvénile, ni développement vers une maturité reproductive. Sont-elles pour autant immortelles ? Elles semblent avoir la capacité de se reproduire à l’infini, en se dupliquant et en se scindant en deux clones qui semblent identiques. Leur mort paraît accidentelle et due à d’autres bactéries ou virus, des environnements toxiques, ou un manque de nourriture.

Pourtant les recherches de Ivan Matic et François Taddei sur la bactérie Escherichia coli, ont démontré une forme de vieillissement inédite.

La descendance clonale ou la vieillesse en héritage

Grâce à la dotation du Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant, les chercheurs ont pu mettre au point une caméra et un microscope capables de suivre la reproduction d’Escherichia coli sur plusieurs générations.

Ils observent que cette bactérie cylindrique possède deux pôles : un matériel biologique ancien d’un côté et un matériel plus récent de l'autre. Cette asymétrie vient de leur mode de reproduction. Avant de se diviser, la bactérie fabrique en son centre une copie de son matériel génétique. Puis elle se coupe en deux par le milieu.

Chaque bactérie fille hérite ainsi d’une partie du nouveau matériel génétique fabriqué au moment de la division. Mais l'une d’elle hérite également du pôle maternel le plus ancien, alors que l’autre reçoit le pôle le plus jeune. Or, plus le vieux pôle d'une bactérie est âgé, plus lente est sa croissance, plus elle est fragile, et plus elle a du mal à se reproduire, ce qui est la définition même du vieillissement. Les chercheurs observent ainsi que, de façon surprenante, les huit arrière-petites-filles d’une même cellule peuvent mourir simultanément.

Perspectives scientifiques et thérapeutiques

Ces travaux remettent non seulement en question la manière dont Escherichia coli est utilisée par des milliers de laboratoires à travers le monde, mais ils ouvrent également la voie au décryptage des mécanismes moléculaires du vieillissement chez l’homme.

L’équipe de chercheurs a déjà décelé dans les « vieux pôles » des bactéries, des défauts moléculaires ressemblant à ceux observés dans le cerveau de patients atteints de maladies neurodégénératives. Par ailleurs, le mode de division des cellules souches qui renouvellent nos tissus, ressemble à celui de ces bactéries.

Ces recherches pourraient enfin avoir des applications médicales, les mécanismes impliqués dans la dégénérescence bactérienne pouvant constituer des cibles thérapeutiques prometteuses.

François Taddei en quelques mots

Polytechnicien, François Taddei est donc ingénieur de formation. Il se tourne vers la génétique lors de son doctorat à l’Université Paris-Sud, sous la direction de Miroslav Radman et aux côtés d’Ivan Matic, qui effectue sa thèse dans le même laboratoire. Ces rencontres marquent le début d’une collaboration scientifique porteuse entre les trois chercheurs, pérennisée par la création du Laboratoire TaMaRa au sein de l’Institut Jacques Monod.

En 2003, soutenu par la Fondation Bettencourt Schueller dans le cadre du Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant, il poursuit des recherches novatrices sur la bactérie Escherichia coli, qui permettront de découvrir un mode de vieillissement inédit : la descendance clonale.

En 2005, il cofonde le CRI à Paris, devenu le Learning Planet Institute, pour promouvoir l’innovation pédagogique et inventer une formation interdisciplinaire, croisant l’étude du vivant, la physique, la chimie, les mathématiques, l’informatique et les sciences sociales.

Portrait de François Taddeï, lauréat du Prix Liliane Bettencourt pour les Sciences du Vivant, en 2003. ©Philippe Caron pour la Fondation Bettencourt Schueller
  • 1995 Doctorat à l’Université Paris-Sud

  • 1996 Post-doctorat dans les laboratoires du Docteur John Maynard Smith, et du Docteur Pierre-Henri Gouyon

  • 1997 Chercheur à l’Inserm

  • 2000 Chef de l’équipe Biologie systémique évolutive, laboratoire Génétique moléculaire évolutive et médicale, Université Paris Descartes

  • 2003 Prix Inserm de la recherche fondamentale

Ivan Matic en quelques mots

Ivan Matic rencontre la mutagénèse au cours de ses études supérieures en Croatie, et étudie les effets d’un agent alcalin sur la bactérie responsable de la salmonellose et Escherichia coli.

En 1995, il entreprend un Doctorat de génétique moléculaire et cellulaire et rejoint le laboratoire de Miroslav Radman, en même temps que François Taddei. Les trois chercheurs pérenniseront leur collaboration scientifique en créant le laboratoire TaMaRa au sein de l’Institut Jacques Monod. Ils réalisent ensemble des découvertes cruciales sur les implications évolutives et adaptatives des mutations génétiques et sur les mécanismes du vieillissement.

Ivan Matic se spécialise dans les mécanismes de réparation de l’ADN et dans les réponses moléculaires aux stress et au vieillissement.Pour combattre l’émergence de nouvelles maladies infectieuses et résoudre le problème de la résistance aux antibiotiques, Ivan Matic s’est donné pour mission de comprendre comment les mécanismes moléculaires et les fluctuations environnementales, impactent ces processus fondamentalement évolutifs.

Portrait d'Yvan Matic, lauréat du Prix Liliane Bettencourt pour les Sciences du Vivant, en 2003. ©Philippe Caron pour la Fondation Bettencourt Schueller
  • 1995 Doctorat de génétique moléculaire et cellulaire, Université Paris-Sud

  • 1995 Chargé de recherche de 1re classe au CNRS, Institut Jacques Monod, Paris

  • 2001 Directeur de recherche au CNRS, chef d’équipe au laboratoire Génétique moléculaire évolutive et médicale, Université Paris Descartes

Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant

Le Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant récompense chaque année un chercheur de moins de 45 ans pour l’excellence de ses travaux et sa contribution remarquable à son domaine de recherche scientifique. Ce prix est attribué selon les années à un chercheur établi en France ou travaillant dans un autre pays d'Europe. Vingt-sept lauréats ont été récompensés depuis 1997. A partir de 2023, la dotation de ce prix récompense personnellement le lauréat à hauteur de 100 000 euros.

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