Paroles de résidents Six artisans d'art dévoilent leur expérience à la Villa

C'était il y a tout juste 10 ans, la Fondation devenait le mécène exclusif de la Villa Kujoyama, en l'ouvrant aux artisans d'art qui bénéficient désormais de cette résidence d'exception au même titre que les artisans habituellement invités.
Ils sont designers ou créateur textile, céramiste ou joaillier… Tous ont séjourné à la Villa Kujoyama et cette expérience a modifié leur pratique autant que leur façon de penser leur discipline. Découvrez ici ces témoignages passionnants qui révèlent l’influence majeure de cette résidence.
Grégoire Scalabre
« Le fait de partager un même savoir-faire fait tomber toutes les barrières, culturelles et linguistiques »

Grégoire ScalabreCéramiste et sculpteur, lauréat Talents d’exception du Prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main® 2022.
« J’ai découvert la céramique à 10 ans dans l’atelier de modelage de mon école et à 16 ans, je suis entré en apprentissage. Je viens de l’artisanat mais j’ai eu, très tôt, le désir de mêler art et utilitaire. En 2022, j’ai été lauréat du Prix pour l’Intelligence de la Main avec l’Ultime métamorphose de Thétis, un vase monumental fait de 70 000 amphores miniatures, parfaite illustration de ma démarche. Grâce à cette récompense, je suis parti en résidence cinq mois à la Villa Kujoyama et j’y ai fait le voyage d’une vie. J’ai découvert l’esthétique japonaise et le statut de l’artisanat, reconnu comme un art à part entière. J’ai rencontré les meilleurs artisans d’art qui m’ont ouvert de nouveaux horizons – une implication particulière dans le geste, une façon d’explorer de territoires inédits en mêlant des matériaux comme le bois ou l’acier à la céramique. Ces échanges ont été d’une grande qualité. Le fait de partager un même savoir-faire fait tomber toutes les barrières, culturelles et linguistiques ; nous parlions la même langue. Je suis rentré avec une nouvelle grille de lecture et tout ce que je produis depuis est lié à ce séjour. Je travaille autour de sculptures extérieures inspirées de ma découverte des jardins japonais, notamment un projet autour des ronces avec un entrelac de pièces qui mélangent porcelaine, bois et marbre. »
Grégoire Scalabre | Notre communauté

Sébastien Desplats
« Cette expérience a profondément transformé mon processus de création ».
Sébastien DesplatsEditeur, graveur et imprimeur d’art.
« Après ma formation aux Beaux-Arts j’ai passé plusieurs années à expérimenter différents types de gravure et d’impression en Europe et j’ai ensuite postulé à la Villa Kujoyama pour me familiariser avec le moku-hanga. Cette technique japonaise de gravure permet d’obtenir ce que l’on ne maîtrise pas en Occident, le dégradé dans les estampes. Grâce à mes rencontres avec les artisans japonais, j’ai apprivoisé ce savoir-faire qui date du XVIIeme siècle, entièrement manuel et écologique. Les encres proviennent de minéraux et de végétaux. Les plaques sont en bois gravé et non en cuivre, qui impose d’être plongé dans l’acide. Le papier washi est fait d’écorce de mûrier local alors que le papier français est à base de coton. Cette expérience a transformé mon processus de création. Mes aplats de couleurs étaient très intenses, ils sont aujourd’hui plus subtils. Je mêle davantage art et artisanat et j’expérimente de nouveaux supports J’ai créé Ok Des, une nouvelle entité au sein de mon entreprise et je vais montrer ces premières créations en octobre à la Biennale de Lorient. Je vais également présenter au Musée de la chasse et de la nature à Paris, un livre en moku hanga, conçu avec la designer Fanette Mellier. Au Japon, ces ouvrages sont dédiés à une répétition des images du passé mais il s’agira ici de création contemporaine. Une façon de faire la synthèse des cultures japonaises et occidentales, et d’ouvrir une troisième voie. »


Sandrine Rozier
« Les techniques que j’ai découvertes sont une leçon d’écologie et de durabilité ».

Sandrine RozierCréatrice textile.
« Créatrice de tissus depuis 25 ans, je travaille pour le spectacle vivant, et je me suis intéressée très tôt à la question des teintures naturelles, dans une dimension écologique. Je me suis passionnée pour la chimie du végétal et ces recherches sont devenues centrales dans mon activité. Lorsque j’ai postulé en 2018 à la Villa Kujoyama, je connaissais déjà les techniques de teinture japonaise mais j’avais envie d’entrer dans les ateliers, de découvrir la sensorialité de leur pratique. L’expérience a été d’une extraordinaire richesse. J’ai validé des savoir-faire que j’avais élaborés intuitivement, j’en ai expérimenté de nouveaux, comme la cuve à indigo qui permet une teinture par fermentation avec une plante japonaise baptisée sukumo. De retour en France, je l’ai remplacée par une plante locale, le pastel du teinturier et j’obtiens un extraordinaire bleu-vert, très différent de l‘indigo indien ou du bleu japonais. J’ai également découvert la teinture à la brosse hikizome qui permet d’appliquer la couleur sur le tissu, sans obligation de chauffer l’eau. Durant ce séjour, j’ai passé beaucoup de temps dans les ateliers et j’ai saisi à quel point ces techniques sont un éloge de la simplicité, une leçon d’écologie et de durabilité. »

Karl Mazlo
« Le Japon m’a aidé à trouver mon propre chemin. »
Karl MazloArtiste joaillier, lauréat Talents d'exception du Prix Liliane Bettencourt pour l'Intelligence de la Main® 2021.
« Créateur de bijoux, j’ai étudié à l’école Boulle avant de travailler en haute joaillerie. Très vite, j’ai eu envie d’élargir mon horizon, ce qui était difficile dans cet univers assez traditionnel. J’ai alors choisi de rompre avec mon quotidien et de tout remettre à plat. J’ai eu la chance d’être accepté en résidence en 2016 à la Villa Kujoyama. Grâce à cette expérience, j’ai beaucoup appris sur ma pratique, et sur moi-même. Je me suis immergé dans une tradition du geste que j’ai hybridée avec ma propre formation. J’ai fait de vraies rencontres, notamment avec Kunihiko Moriguchi, trésor national vivant qui m’a partagé sa philosophie. L’importance de ne pas copier la nature mais de s’en inspirer ; de se situer à la frontière du figuratif et de l’abstrait pour convoquer l’imaginaire. Tout cela m’a donné une nouvelle liberté. J’ai collaboré avec un forgeron qui travaillait les aciers mélangés et avait des chutes difficiles à recycler. Je les ai intégrées dans mes créations, me tournant vers des matières délaissées que j’ai cherché à valoriser. Je me suis détaché de la valeur monétaire de la matière, dans une autre vision de la préciosité, liée à l’histoire racontée et au travail de la main qui la porte. Au retour du Japon, j’ai élargi mes champs d’application avec un travail plus personnel entre art et artisanat... En 2021, j’ai été lauréat du Prix pour l’Intelligence de la Main pour Black Garden, une œuvre dans le droit fil de cette philosophie, le Japon m’a aidé à trouver mon propre chemin. »
Karl Mazlo | Notre communautéNicolas Pinon
« De ma rencontre avec le laqueur Kenji Toki est déjà née une collection de mobilier »

Nicolas PinonLaqueur décorateur, lauréat Dialogues du Prix Liliane Bettencourt pour l'Intelligence de la Main® 2020.
« Depuis mes années de formation, je suis passionné par la laque végétale et mon métier s'articule autour de l’usage et de la transmission de ce savoir-faire ancestral. Formé à l’ébénisterie à l’École Boulle, j’ai eu la chance de me perfectionner au Japon auprès du maître Nagatoshi Onishi, dont l’enseignement a marqué mon approche de la matière et du geste. Indépendant depuis 2009, j’ai ouvert mon atelier à Paris en 2017, un espace dédié à la laque végétale où j’explore les dialogues entre tradition et innovation. En 2024, j’ai eu le privilège de résider à la villa en compagnie de Dimitry Hlinka avec lequel j’ai reçu le Prix pour l’Intelligence de la Main en 2020 pour Entropie, un radiateur couvert d’une laque végétale dont la couleur change selon la température. Notre projet s’est articulé autour des liens entre fibres naturelles et laque végétale, enrichi d’une collaboration avec le laqueur et enseignant-chercheur Kenji Toki. Nous partageons une vision commune de la laque – matériau vivant, porteur de mémoire mais ouvert à l’expérimentation. Ensemble, nous avons exploré les combinaisons entre laque traditionnelle et structures alvéolaires en papier. De cette collaboration est née ASA, une collection d’objets et de mobilier qui incarne l’harmonie entre la légèreté des matériaux et la rigueur du savoir-faire. Cette série sera présentée au salon Révélations, au Grand Palais, du 21 au 25 mai 2025. »

Dimitry Hlinka
« La villa est un lieu de solitude et de rencontres, un lieu pour se reconnecter et s’inspirer du Japon ».
Dimitry HlinkaDesigner, lauréat Dialogues du Prix Liliane Bettencourt pour l'Intelligence de la Main® 2020.
« J’ai été formé durant 8 ans à l’école Boulle où j’ai suivi un cursus métiers d’art avant d’obtenir un master en design. J’ai toujours aimé les arts appliqués, avec le désir de mettre du sens derrière la réalisation des pièces. Lorsque j’étais étudiant, j’ai rencontré Nicolas Pinon et nous avons obtenu ensemble le Prix pour l’Intelligence de la Main en 2020. Cette résidence à la Villa Kujoyama (fin 2024) est dans le droit fil de ce travail puisque nous y avons poursuivi nos recherches autour la laque végétale. Nous connaissions l’un et l’autre le Japon mais nous n’avions jamais eu l’opportunité d’y rester si longtemps, déconnectés des contraintes parisiennes. Ce séjour nous a offert le privilège de prendre le temps de la remise en question, d’une pensée et d’un fonctionnement. Tout ici pousse à l’introspection, la beauté du bâtiment, son épure et son isolement même si la Villa est proche du centre de Kyoto. C’est un lieu de solitude et de rencontre, où l’on vient à la fois pour se reconnecter et s’inspirer du Japon. Notre objectif était de créer ici des objets qui sont le fruit d’années de recherche. Ces quatre mois ont permis l’éclosion de cela, avec la poursuite de notre collaboration avec Kenji Toki, dans un échange à part égale de nos savoir-faire. Une collaboration pérenne que nous allons désormais poursuivre à distance. »


La Fondation et la Villa Kujoyama
En 2015, la Fondation devenait le mécène exclusif de la Villa Kujoyama, l’ouvrant alors aux artisans d’art qui bénéficient désormais de cette résidence au même titre que les artistes habituellement invités. Le détail de l’opération…
Depuis 2015, la Fondation s’est engagée aux côtés de la Villa, en élargissant le programme des résidences aux métiers d’art. Une cinquantaine d’artisans et de designers s’y sont relayés pour suivre des programmes d’excellence, d’une durée de un à six mois ; une immersion nourrie d’échanges avec des artisans et les meilleurs artisans japonais qui constitue une source d’inspiration unique pour les résidents.
En 2022, la Fondation a renforcé ses liens avec la Villa, en créant une résidence pour les lauréats du Prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main® qui peuvent désormais bénéficier d’un séjour d’un mois en tant qu’invité. Pour permettre aux artisans d’art de tirer le meilleur parti de cette expérience, la Fondation a également mis en place un dispositif d’accompagnement personnalisé, en amont du séjour pour le structurer et en aval pour soutenir la réalisation d’œuvres, d’expositions ou tout autre projets imaginé lors de leur passage au Japon.
Le succès de cet engagement ne pouvait qu’inciter au développement d’autres initiatives poursuivant le même objectif. Dans cet esprit, la Fondation soutient la Villa Albertine depuis 2021 et la Villa Médicis depuis 2022 en leur permettant de s’ouvrir aux métiers d’art.
En chiffres
*Depuis 2015, 150 résidents dont 54 designers et artisans d’art ont séjourné à la Villa, pour des séjours de 4 à 5 mois.
*2 lauréats du Prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main® sont invités chaque année pour une résidence d’un mois. Pour l’année 2025, il s’agit de Kristin McKirdy, céramiste et de Guillaume Lehoux, céramiste.
*Plus de 100 expositions et projets post-résidences ont été réalisés depuis 2015.
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