Notre entretien avec José Lévy, artiste et designer « A la Villa Kujoyama, les champs artistiques s'enrichissent en permanence »



C'était il y a tout juste 10 ans, la Fondation devenait le mécène exclusif de la Villa Kujoyama, l'ouvrant alors aux artisans d'art qui bénéficient désormais de cette résidence d'exception au même titre que les artisans habituellement invités.
Créateur protéiforme, José Lévy est également l’un des meilleurs connaisseurs de la culture japonaise. Proche de la Villa Kujoyama où il a été en résidence en 2011 avant d’y revenir pour différents projets, il est aujourd’hui en charge de la scénographie et de la curation de cet anniversaire. L’occasion pour lui de dévoiler le lien qu’il entretient avec ce lieu particulier…
Vous avez été choisi pour concevoir la curation et la scénographie de l’événement consacré aux 10 ans des métiers d’art à la villa, avec le soutien de la Fondation et de l’Institut français. Comment avez-vous pensé cette célébration ?
J’ai souhaité mettre en lumière ces dix années de créativité mais aussi souligner l’impact de la Villa sur ses résidents. L’expérience transforme sur un plan professionnel autant que personnel et tous ressentent un attachement à ce lieu que j’ai voulu exprimer. J’ai pris le parti de rendre hommage aux artisans d’art passés par la Villa, mais aussi à l’ensemble des résidents car tous ont été, un jour ou un autre, en lien avec les métiers d'art. J’ai séjourné moi-même à la Villa durant cinq mois en 2011 et j’ai observé à quel point cette institution encourage la création de passerelles entre les résidents et leurs disciplines. Cette façon de penser est parfaitement en phase avec la volonté de la Fondation d’abolir les frontières entre art et artisanat d’art et de multiplier les synergies. Tout ceci est rendu possible car nous sommes ici dans une maison franco-japonaise de la culture ; un lieu où les champs artistiques s'enrichissent en permanence.
"J’ai séjourné moi-même à la villa durant cinq mois en 2011 et j’ai observé à quel point cette institution encourage la création de passerelles entre les résidents et leurs disciplines."
José LévyArtiste et designer
Concrètement, quelle forme prend cette célébration ?
Elle est organisée en plusieurs chapitres. Au fil de sa déambulation, le public découvre des œuvres réalisées par une vingtaine de lauréats depuis 2015, issus de la discipline métiers d’art ou s’inspirant des métiers d’art japonais. En résonnance avec ce parcours, les six studios de la Villa sont ouverts aux visiteurs, permettant aux artistes et aux artisans actuellement en résidence de présenter leurs expérimentations. Vient ensuite la projection d’un diaporama de photos que j’ai prises en 2019 avec mon iPhone sur les Monts Dewa, situés sur l'île de Honshū ; diaporama accompagné d’une musique composée par Yves Chauris qui était mon "frère de Villa".
Dans l’auditorium, on peut ensuite visionner des témoignages vidéo d’anciens lauréats qui répondent à la question « Ce que la Villa m’a fait », illustrant l’influence du lieu sur ses résidents. Dans le même esprit, une installation baptisée Fil.s/Filles et Fils traverse l’ensemble du lieu. Il s’agit d’une offrande collective composée de guirlandes comme des fils symbolisant la filiation de chacun à la villa. Pour ma part, j’ai choisi d’associer une serviette de sento (les bains locaux) à une koreshi (petite poupée très populaire) et positionner l’ensemble dans la Villa comme un noren, ces rideaux traditionnels japonais. Une façon de célébrer deux éléments – sento et kokeshi – qui ont eu une grande influence sur mon travail.
Cette mission intervient après un long compagnonnage avec la Villa. Vous y avez été en résidence en 2011. Qu’avez-vous retiré de l’expérience ?
Pour moi, il y a eu un avant et un après. J’ai vécu ce moment comme un privilège qui m’offrait une liberté inédite de penser, de travailler et d’échanger. La durée (5 mois) et l’intensité de ce séjour m’ont procuré un vrai dépaysement alors que j’entretenais déjà une relation intime avec la culture japonaise. Mes grands-parents étaient les fondateurs de la marque Judoji, spécialistes d’équipements d’art martiaux et de collectionneurs d’art japonais. C’est en puisant dans cet héritage culturel et familial que j’ai construit mon projet de résidence. J’ai travaillé autour de la mémoire des objets que j’avais vu chez eux, notamment des masques nô. Je me suis formé au nebuta avec des artisans d’art locaux (une technique traditionnelle qui met en œuvre le papier et le bambou). J’ai également organisé un workshop autour de la céramique avec les enfants de l’école française de Kyoto, qui faisait suite à celui conçu pour la manufacture de Sèvres en lien avec l’un de mes « Solo shows ». Par ailleurs, j’ai réalisé des costumes pour le film Slow Life Christian Merlhiot, tourné pendant la résidence. Cette diversité de découvertes montre à quel point la villa est une matrice de création. Même si, autre privilège, les résidents n’ont aucune obligation de résultat.


En 2014, vous y êtes revenu pour scénographier la réouverture de la villa après ses travaux. C'est à ce moment-là que la Fondation annonce sa volonté de mettre en place des résidences métiers d'art. Comment avez-vous symbolisé cette intégration ?
J’ai prolongé le projet de ma résidence initiale sur le thème du samouraï, autre souvenir d’enfance. J’ai créé – en collaboration avec les équipes de l’université des Arts traditionnels de Zoukei – Le Veilleur, une œuvre monumentale représentant un samouraï de papier de 7 mètres de hauteur. Installé sur la terrasse de la Villa comme un phare, il témoigne de mes liens franco-japonais et symbolise la fusion entre tradition et modernité, thématique centrale dans mon travail. Deux ans plus tard, le Musée de la chasse et de la nature m’a demandé de concevoir un autre samouraï. Pour l’occasion, j’ai invité à Paris les artisans d’art japonais qui avaient participé à la création du Veilleur. Ils ont travaillé avec des étudiants de l’Ecole Camondo qui se sont ainsi initiés à la technique du nebuta. Cette idée de transmission est aussi au cœur de la mission de la Villa.
Cette passion pour le Japon a traversé votre vie. Quel rôle a-t-elle joué dans votre parcours créatif ?
Elle a eu une influence majeure. C’est une histoire familiale et une façon d’être ; une exigence de rigueur et d'efficacité, mêlée à une grande poésie. Prenons les kokeshi, qui ont beaucoup nourri mon imaginaire. Ce sont ces petites poupées charmantes que l’on voit partout mais le mot kokeshi signifie aussi un enfant qui disparaît. Cette dualité entre l’étrange et le quotidien est l’une des composantes de la culture nippone. Elle rappelle que les choses ne sont pas aussi simples qu’elles le paraissent ; elle signifie aussi qu’une création peut être regardée, et adoptée, par un grand nombre de personnes qui en ont leur propre perception. Le Japon m'a appris cela. Et j’aime l’idée de ne pas enfermer les gens dans le seul point de vue d’un créateur, de leur permettre de s’approprier pleinement des objets conçus à leur intention.
Créateur prolifique, vous travaillez pour de nombreuses maisons et institutions. Vous êtes par ailleurs scénographe et dessinez des costumes pour le théâtre. L’un des points communs de tout cela est une relation intime aux métiers d’art.
Je conçois des collections pour différentes maisons avec, toujours, la volonté de créer un univers, de raconter une histoire. Dès le début de mon processus de création, j’entre en discussion avec les ateliers pour me frotter à la réalité de la réalisation. La suite est une affaire de collaboration, et parfois de confrontation avec les équipes, car je pars du principe que tout est possible. Nous travaillons dans une audace commune, la volonté de repousser les limites d’une technique, d’un savoir-faire. Je passe beaucoup de temps dans les ateliers, car c’est là que mes idées naissent concrètement. La recherche pour la recherche ne m’intéresse pas. Ce qui compte, c’est la chose faite. Et une idée ne peut prendre forme que si elle est portée par l'artisan.
Ce lien avec les métiers d’art fait de vous un observateur privilégié de ce secteur. Quel est, selon vous, l’impact de cette présence des métiers d’art à la Villa, en termes de rayonnement de ce secteur ?
Elle a incontestablement favorisé la renommée des métiers d’art français au Japon, en tirant parti de l’intérêt des locaux pour nos savoir-faire. Les Japonais ont des artisans d’art extraordinaires mais ils ont un grand respect pour les métiers d'art français. Et puis, il y a aussi un désir commun de rencontre. La relation singulière franco-japonaise nourrit sans cesse l’imagination artistique et représente une inspiration constante pour de nombreux créateurs. Je ne connais aucun artiste français qui n’aime pas la culture japonaise. De la vibration urbaine de Shibuya aux plages d’Okinawa, de la tradition zen et shintô aux mangas, le Japon ne cesse de fasciner. En retour, les Japonais n’ont jamais cessé d’affirmer leur lien avec la France – immuablement l’une de leurs destinations préférées – présente jusque dans le nom d’enseignes japonaises dans notre langue, même facétieuses.


Parallèlement à cet événement, vous avez été nommé directeur de création du Pavillon français à l’exposition universelle d’Osaka 2025. Quelle est votre mission, et qu’avez-vous imaginé ?
J’ai été invité à intervenir dans tous les espaces en dehors de l’exposition permanente, (le restaurant, les zones protocolaires, les salles de conférence...). J’ai souhaité présenter un extrait de la scène française d’hier, d’aujourd’hui et de demain autour du thème choisi pour le pavillon, un hymne à l’amour. J’ai, pour cela, travaillé autour de trois pistes : les arts décoratifs français, ceux du Japon et la beauté de la nature des deux pays. Grâce à Céline Wright (résidente à la Villa en 2021) qui propose des luminaires en papier washi fabriqués au Japon chez Kouseido (une entreprise qui regroupe un nombre important de métiers d’art et travaille avec des designers français), j’ai pu proposer au public un parfait exemple de collaboration japonaise. J’ai également présenté mon travail réalisé en 2015 en collaboration avec la maison Daiken ; des pièces de mobilier mêlant tatamis et laque offerts alors à la Villa Kujoyama. Celle-ci prendra place dans le salon protocolaire durant la durée de l’exposition. J’ai également sélectionné des éléments du mobilier de Pierre Paulin créé pour l’exposition universelle d’Osaka en 1970, des lampes de Joseph-André Motte pour Disderot qui font référence aux lampions japonais… Non loin, le bistrot et le salon des partenaires célèbrent l’art floral de Shuho Hananofu, maîtresse ikebana qui a fait connaitre sa pratique en France, en collaborant avec le Palais de Tokyo. A chaque fois, une conversation entre deux pays qui ont tant de choses à se dire, et à créer ensemble.
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