Après deux années d’intense activité pour consolider l’édifice, le chantier de Notre-Dame s’apprête à entrer dans la phase de restauration, notamment avec la restitution de la flèche de Viollet-le-Duc. Grand ordonnateur de cette mission de reconstruction largement soutenue par la Fondation Bettencourt Schueller, le général Jean-Louis Georgelin nous en dévoile les coulisses ; rappelant le rôle clé des métiers d’art dans cette renaissance.
Lors de sa dernière visite, Emmanuel Macron a réaffirmé l’objectif de réouverture de Notre-Dame au culte et à la visite en 2024. Où en sommes-nous des travaux ? La phase de sécurisation de l’édifice est-elle terminée ?
Cette phase s’achève et la cathédrale est désormais solide sur ses pieds. Le chantier a remarquablement avancé en dépit de multiples difficultés : le plomb, la crise sanitaire, l’arrêté de péril… En deux ans, des opérations essentielles ont été accomplies ; de la dépose de l’échafaudage sinistré et du grand orgue au nettoyage des voûtes en passant par une dernière étape l’étayage de ces voûtes, avec de multiples cintres en bois.
L’étape de restauration va débuter à la fin de l’été. Comment va-t-elle se dérouler et combien de temps prendra-t-elle ?
Nous avançons sur une planification des phases suivantes, sachant que des décisions déterminantes ont été prises – lors des réunions de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture le 9 juillet 2020 et le 25 mars dernier. La restitution à l’identique de la flèche de Viollet-le-Duc a été définitivement actée, avec la restauration de la couverture du grand comble et de la charpente en bois. Notre mission est désormais de garantir l’harmonie et la cohérence de ce chef d’œuvre de l’art gothique. Les travaux devraient débuter au milieu du second semestre 2021, sous la direction Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques. Tout cela permet d’envisager sereinement l’échéance de 2024 pour la réouverture de Notre-Dame au culte et à la visite.
Comment cette restauration va-t-elle être orchestrée ?
Dans la mesure du possible, tous les corps de métiers vont travailler ensemble et en même temps : les restaurateurs pour les sculptures, les ferronneries, les boiseries les vitraux, les peintures murales ; les charpentiers et les maçons… Dès la première phase de sécurisation, le chantier était une vraie ruche, réunissant une incroyable diversité de métiers et de compétences. 35 entreprises et 150 artisans étaient présents.
D’où viennent les entreprises et les artisans ?
Pour cette phase de sécurisation, plus de la moitié est arrivée de province. La pose des cintres a été effectuée par une entreprise de Meurthe-et-Moselle, les échafaudages ont été placés sous la responsabilité d’une société de la Meuse. Les maîtres verriers qui se sont chargés de la dépose des vitraux des baies hautes venaient de l’Aude, de la Côte d’Or de la Sarthe et de l’Eure-et-Loir ; les ateliers de facteurs d’orgue qui ont œuvré à la dépose du grand orgue sont de l’Hérault, du Vaucluse et de Corrèze. La France entière vient au chevet de la cathédrale de la France. Quelques spécialistes étrangers nous ont également rejoints ; le chantier de la dépose de l’orgue a été, par exemple, mené par un expert italo-uruguayen. Nous sommes très sollicités ; le monde entier a envie de participer à cette restauration !
Comment les artisans sont-ils choisis ?
Durant l’étape de sécurisation, nous avons été placés sous le régime de l’urgence impérieuse et avons fait appel, au plus vite, à des artisans et à des compagnons. Pour la phase de restauration qui s’instaure, nous sommes soumis aux codes de la commande publique et devons lancer des appels d’offres. Les artisans seront sélectionnés sur la qualité de leur proposition, technique et financière, et des équipes étrangères pourront participer à ce processus.
Certains artisans d’art sont déjà à l’œuvre, réalisant des tests pour la restauration des chapelles Saint-Ferdinand et Notre-Dame de Guadalupe. Que vous ont-ils appris ?
Ils ont permis de mesurer l’ampleur des dégradations subies depuis les dernières restaurations, datant de 1860, et auxquelles est venue s’ajouter la poussière de plomb. Par ailleurs, ces tests ont été l’occasion de belles surprises. Nous avons été étonnés de la qualité chromatique de la précédente restauration de la chapelle Saint-Ferdinand, dont les couleurs ont désormais retrouvé leur clarté. Nous avons également découvert des peintures médiévales à la feuille d’or sur la voûte de la travée de la chapelle Notre-Dame de Guadalupe, jusqu’alors totalement inconnues.
On parle beaucoup de la restauration de la flèche de Viollet-le-Duc. Comment va-t-elle être orchestrée ?
Ce chantier est à la fois très symbolique et très complexe. Il nécessite un grand nombre d’assemblages pièce par pièce, sachant qu’aucune opération de pré-montage ne peut être menée. Tout sera réalisé in situ ! Un échafaudage, de 100 mètres de hauteur, permettra de hisser les structures de la flèche en commençant par le tabouret. Cette restauration nécessite un apport en bois correspondant à 1000 chênes, déjà sélectionnés et récoltés. Tous viennent de France.
D’autres restaurations sont également très attendues – les vitraux, les pierres, le bois du mobilier ? Comment vont-elles se dérouler ?
Comme je l’évoquais, nous travaillons sur cette organisation en recherchant le plus de simultanéité possible. Nous voulons rentabiliser le temps mais il n’est pas question de renoncer à l’excellence, dans la grande tradition des métiers d’art français. Nous cherchons à compenser ce niveau d’exigence par une planification au millimètre. Une partie des travaux se déroulera en atelier, ce sera, par exemple, le cas pour les vitraux. Une autre partie sera réalisée dans la cathédrale elle-même. A l’emplacement du sanctuaire, où se trouvent les œuvres les plus importantes, l’échafaudage intérieur a été conçu pour permettre aux restaurateurs d’intervenir sur des chefs d’œuvre comme le Vœu de Louis XIII en toute sécurité alors même que la restauration se poursuivra, 30 mètres plus haut, sur les voûtes du chœur.
Comment les maîtres d’art vivent-ils cette restauration ? Tous ont sans doute conscience de vivre un moment rare. Ont-ils le sentiment de devoir réinventer leur pratique ? Quelle place est fait à l’innovation ?
Les artisans d’art et les compagnons ressentent une immense fierté à participer à cette restauration. Beaucoup estiment qu’il s’agit d’une chance unique et ils ont conscience d’œuvrer sous le regard de toute la France, et du monde entier. Leur mission est de restituer à l’identique cette cathédrale en mêlant geste traditionnel et technologie moderne. La conception des cintres en bois des voûtes du chœur, par exemple, fait appel au savoir-faire de géomètres, ingénieurs et dessinateurs, avec des relevés en 3D des voûtes et l’utilisation de vérins hydrauliques totalement innovants. Les artisans œuvrent en étroite collaboration avec les laboratoires du LRMH (laboratoire de recherche des monuments historiques) et du centre de recherche et restauration des musées des France (C2RMF). Huit équipes du CNRS sont également à pied d’œuvre, soit plus de 100 chercheurs qui travaillent des notions d’acoustique, de calcul de structures, de données numériques. Un groupe de travail du CNRS a créé un véritable double numérique de la cathédrale pour réunir les connaissances, passées et à venir, sur une plateforme collaborative.
La volonté est d’accroitre notre connaissance des édifices historiques et d’améliorer les techniques de conservation. Cette diffusion des savoirs est unique, tout comme le savoir acquis durant cette expérience. Cet incendie reste un drame absolu mais cette restauration nous permet d’accéder à une connaissance jamais atteinte du monument, et par là même une conception plus globale de l’architecture gothique.
La Fondation Bettencourt Schueller œuvre depuis plus de 20 ans à la valorisation des métiers d’art. Pensez-vous que ce chantier exceptionnel va remettre en lumière l’excellence de l’artisanat d’art français ?
Je sens l’émergence d’un mouvement inédit en faveur des métiers d’art, qui va de pair avec une prise de conscience de la richesse de notre patrimoine, et un intérêt renouvelé pour sa conservation. Grâce à cette restauration, le public découvre que les métiers d’art ne reproduisent pas des gestes archaïques mais qu’ils se situent, au contraire, dans une pleine modernité. Ce chantier est une belle façon d’illustrer le caractère très contemporain de ces métiers.
Nous menons de nombreuses actions, notamment grâce à la Fondation Bettencourt Schueller, pour amplifier ce message. Nous avons exposé, sur les palissades de chantier de la rue du Cloître, des photos restituant des artisans à l’œuvre et attestant de cette modernité. Nous développons un projet de Maison du chantier et des métiers qui présentera nos différents contenus numériques. Nous avons créé le magazine « La Fabrique de Notre-Dame » et nous mettons à profit des événements comme les journées européennes du patrimoine ou celles des métiers d’art pour faire passer ce message. Notre mission d’établissement public est, aussi, de promouvoir les métiers d’art ; de montrer aux jeunes générations que l’on peut y mener des carrières fantastiques.
La Fondation Bettencourt Schueller et Notre-Dame de Paris
Le 15 avril 2019, un spectaculaire incendie ravageait Notre-Dame de Paris sous les yeux de millions de spectateurs, impuissants et bouleversés.
Touchées par ce drame qui réunit au-delà des croyances, Téthys, holding familial de la famille Bettencourt Meyers, et la Fondation Bettencourt Schueller décidaient de prendre part à l’élan collectif pour relever le défi de la reconstruction. L’Oréal promettait 50 millions de dons ; la holding familiale Téthys s’engageait directement pour la même somme tandis que la Fondation annonçait un soutien de 100 millions d’euros, sur une période de 5 ans, jusqu’à la fin de l’année 2024. D’un montant total de 200 millions d’euros, ces dons représentent 24 % du soutien de l’ensemble des donateurs.
Pour la Fondation, cet accompagnement s’inscrit dans un long compagnonnage, une relation de près de vingt ans noués avec la cathédrale, haut-lieu des métiers d’art et du chant choral, les deux axes clé de son mécénat culturel. Depuis 2002, date à laquelle sa Maîtrise a été lauréate du Prix Liliane Bettencourt pour le chant choral, la Fondation a tissé des liens précieux avec Notre-Dame de Paris, finançant en 2013 la réalisation du bourdon Marie et participant depuis 2015 au développement de sa Maîtrise.
Rebâtir Notre-Dame de Paris