Le « chantier du siècle » a mobilisé plus de 250 PME portées par des artisans d’art qui ont révélé des savoir-faire d’excellence, doublé d’un sens de l’adaptation qui leur a permis de répondre à ces commandes hors normes. Explications et témoignages de trois chefs d’entreprises emblématiques de cette reconstruction.

Restaurer en cinq années… Le vœu du Président de la République, Emmanuel Macron, aura finalement été exaucé. La cathédrale Notre-Dame de Paris a rouvert ses portes le 8 décembre 2024 après l’incendie qui l’a en partie détruite durant la nuit funeste du 15 avril 2019. Cette prouesse tient au formidable élan de générosité qui a permis d’assurer le financement de la reconstruction. Elle est également due à l’engagement du général Jean-Louis Georgelin et de son successeur Philippe Jost qui ont pensé et mené ce chantier avec une organisation millimétrée. Elle est enfin le symbole de l’excellence des entrepreneurs français qui se sont relayés pour mener à bien leur mission. « Pour ce chantier hors normes, il fallait les savoir-faire exceptionnels que possèdent nos PME et nos artisans d’art » précise Philippe Jost. C’est la raison pour laquelle le chantier global n’a pas été divisé en lots importants – plus accessibles à de grandes entreprises générales – mais en une centaine de petits lots, ciblés sur des expertises précises (charpente, taille de pierre, sculpture sur bois, vitraux...). Cela a permis aux TPE et PME, réparties dans toute la France, de répondre à des appels d’offres pensés à leur échelle.

 

L’agilité et l’esprit d’initiative des PME françaises

Les exemples sont nombreux, attestant du rôle-clé des métiers d’art dans la vitalité des territoires. Les 1 500 nouvelles chaises installées dans la nef de la cathédrale ont été fabriquées par la société landaise Bosc-Sièges Bastiat ; les travaux de restauration du grand orgue ont été pris en charge par l’atelier Bertrand Cattiaux en Corrèze, la Manufacture languedocienne de Grandes Orgues dans l’Hérault et Orgues Pascal Quoirin dans le Vaucluse... Dans chaque cas, les entreprises ont fait preuve d’une grande adaptation, réorganisant leurs équipes pour répondre aux exigences de cette commande sans renoncer à leurs clients habituels. 

Certaines, habituées à être en concurrence, sont allées jusqu’à se regrouper pour répondre aux appels d’offres. Ce fut le cas pour la reconstruction de la flèche (lot qui ne pouvait être morcelé), menée à bien grâce à l’alliance de quatre PME spécialisées dans la charpente : Le Bras Frères en Meurthe-et-Moselle, Cruard Charpente en Mayenne, Métiers du Bois dans le Val-de-Marne et Asselin dans les Deux-Sèvres.

« Chaque entreprise a dédié 20 charpentiers à Notre-Dame et nous avons établi une charte de bonnes pratiques. Nos équipes ont travaillé ensemble, nous nous sommes engagés à ne débaucher aucun artisan d’une autre société et à toujours communiquer au niveau collectif. Ce regroupement inédit montre l’agilité, l’esprit d’initiative de nos PME » précise François Asselin, dirigeant de la société éponyme et président de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises.

D’autres encore ont fait le choix de recruter de jeunes apprentis, profitant de l’élan exceptionnel suscité par cette reconstruction, explique Richard Boyer, directeur de la société Socra, spécialisée dans la restauration d’œuvres d’art, et président du Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques. « Notre-Dame a attiré un grand nombre de jeunes qui ont découvert les atouts des métiers de la restauration du patrimoine, pourvoyeurs d’emplois et surtout, porteurs de sens et de valeur. » 

Une opportunité unique pour susciter de nouvelles vocations. 

Alors que Notre-Dame s’apprête à accueillir à nouveau visiteurs et fidèles du monde entier, les entreprises commencent déjà à faire le bilan de cette expérience unique. Si celle-ci n’a pas encore élargi leur carnet de commandes, elle a, à coup sûr, suscité de nouvelles vocations et révélé au monde les savoir-faire d’exception des métiers d’art français. Autant d’atouts qui viennent en écho aux préoccupations majeures des dirigeants de la filière, récemment révélée par la grande enquête Les Éclaireurs*, destinée à mesurer le poids réel du secteur dans l’économie du pays. Leur feuille de route pour demain ? Former une jeune génération pour assurer la transmission des savoir-faire, amplifier le dynamisme de la filière et l’ouvrir à l’international en multipliant les commandes à l’export. Autant de sujets auxquels répond déjà le miracle de Notre-Dame.

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François Asselin, dirigeant de la société Asselin (charpentes, menuiserie, ébénisterie et ferronnerie) dans les Deux-Sèvres. 

« Je suis à la tête de la société depuis 31 ans et nous avions déjà réalisé des ouvrages complexes comme la charpente de la frégate Hermione, mais cette commande était inédite. Pour l’honorer, il était essentiel d’unir nos forces et nos charpentiers ont travaillé au sein d’équipes mutualisées afin de réaliser la charpente de la flèche et des transepts, reprenant les techniques historiques  tracé, lignage, piquage, taillage, levage... Ce chantier hors normes a été un grand moment de fierté et d’émotion pour nous tous. L’expérience ne nous a pas encore ouvert de nouveaux marchés mais elle asseoit l’entreprise. Si nous devons concourir demain à un appel d’offres exceptionnel, le label Notre-Dame constituera un atout majeur. Nous sommes implantés aux États-Unis et lorsque je me rends sur place, tous les clients me demandent de parler de Notre-Dame. Nous disposons là-bas d’un soft power exceptionnel. Il y a un vrai rayonnement des métiers d’art français ; nous sommes reconnus et admirés pour cela ».

 

Charpentier, un métier au cœur du chantier de restauration de la Cathédrale Notre-Dame de Paris
Flavie Serrière Vincent Petit, présidente de la Manufacture Vincent-petit spécialisée dans la restauration et la création de vitraux, à Troyes.

« Nous avons été réquisitionnés en urgence après l’incendie pour déposer des vitraux du chœur et de la nef et avons été retenus pour la restauration de 24 baies hautes du chœur, d’une partie de la nef, de la chapelle et du cloître de la sacristie. Nous avons composé nos équipes avec des jeunes déjà formés ou en cours de formation, et toujours très encadrés. 

Notre mission a été de redonner à voir le travail des maitres verriers du XIXe qui, à l’initiative de Viollet-le-Duc, ont tenté de recréer la vibration colorée qu’ils imaginaient être celle du Moyen-Âge. Nous avons ainsi travaillé à installer cette lumière qui accompagne l’architecture et crée l’espace du sacré. Avec notre entreprise créée en 2012, nous avons répondu à cette commande en poursuivant parallèlement nos autres chantiers, notamment la restauration des vitraux de l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen. Notre société devrait gagner en visibilité mais nous sommes dans un métier de niche. Dès notre création, nous nous sommes dotés d’une serrurerie pour travailler à la fois l’œuvre et son support, avec une technique de conservation préventive très précieuse puisqu’elle permet d’isoler le vitrail des intempéries. Notre expertise est triple : redonner la lisibilité à l’œuvre, penser sa conservation à long terme et proposer, si nécessaire, des créations contemporaines d’accompagnement. 

Ces savoir-faire sont une spécificité française reconnue au niveau mondial grâce à des formations universitaires assez uniques mais, hélas, méconnues des jeunes générations. Souhaitons que l’expérience Notre-Dame mette la lumière sur cet art et suscite des vocations. »

Maître verrier, un métier au cœur du chantier de restauration de la Cathédrale Notre-Dame de Paris
Richard Boyer, directeur de la société Socra spécialisée dans la restauration de décors, de mosaïques de parements et de sculptures en pierre et métal à Périgueux. 

« La société Socra était déjà intervenue pour des travaux de la restauration de la flèche en 2018. Nous avons ensuite été sélectionnés pour différentes missions : la dépose de statues sur les pignons Sud et Nord durant la phase de sécurisation, les restaurations des sculptures en pierre de la sacristie, du pavement du chœur de la cathédrale et des statues en cuivre, visibles à la cité de l’architecture et du patrimoine de Paris, avant d’être replacées dans la cathédrale début 2025. 

Pour honorer l’ensemble de ces travaux, la société et la filière tout entière ont embauché et formé de nombreux jeunes. Ils sont les forces vives du pays, dans les PME et dans les territoires, et nous espérons qu’ils pourront poursuivre leur carrière via les chantiers publics initiés par le ministère de la Culture, qui permettent d’entretenir le patrimoine français. On ne le dit pas assez, la France disposait de toutes les compétences pour mener ce chantier hors normes car elle a su préserver ses savoir-faire mais aussi se tourner vers demain. Nous avons reconstruit la charpente avec des techniques historiques mais nous avons modélisé la flèche en 3D pour anticiper d’éventuelles déformations liées à l’utilisation d’un bois encore vert, et renforcer les parties plus fragiles. Cette opération est à l’image des métiers d’art français, capable de mêler patrimoine et technologies. »