« Ma grande cause ? La santé et le bien-être des enfants » Entretien avec Céline Gréco, médecin-chercheur.

A la tête du service de médecine de la douleur et palliative à l’hôpital Necker-Enfants-malades à Paris, Céline Gréco a également fondé l’association IM’PACTES pour lutter contre les violences faites aux enfants. Rencontre avec une femme rare, dont le parcours hors normes a été soutenu durant près de 20 ans par la Fondation.
Vous êtes l’une des grandes spécialistes du traitement de la douleur chez l’enfant. De quels moyens disposent les médecins pour cette prise en charge ?
Les thérapeutiques antalgiques, qui visent à diminuer la douleur, restent très pauvres, notamment dans le domaine de la pédiatrie. Nous disposons de peu de médicaments dotés d'une Autorisation de Mise sur le Marché pour traiter spécifiquement des douleurs chez l’enfant, et quasiment aucun pour la prise en charge des douleurs neuropathiques. Douleurs qui peuvent apparaître, par exemple, lors d’une cicatrisation difficile, d’une chimiothérapie ou dans le cadre de nombreuses maladies d’origine génétique. Plus concrètement, nous utilisons essentiellement trois molécules pour traiter la douleur chez le petit enfant : le paracétamol, l'ibuprofène et la morphine. C'est dramatique ! La revue scientifique internationale The Lancet publiait d’ailleurs en 2021 un article qui rappelait l’urgence d’accélérer la recherche sur le sujet.
Vous êtes médecin-chercheur et menez des projets de recherche clinique et fondamentale pour développer des médicaments plus adaptés. Pouvez-vous nous présenter vos travaux ?
Grâce au soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, du Fonds de dotation HELEBOR et du programme ATIP-Avenir, nous avons monté en 2022 un Programme de Recherche Et de Lutte contre la Douleur de l'Enfant (PRELUDE.) Sur le plan clinique, nous nous sommes attaqués aux pathologies génétiques de la peau et aux douleurs neuropathiques chez l'enfant, notamment les douleurs du membre fantôme ressenties après une amputation. Côté recherche fondamentale, nous menons deux projets très importants. Avec le premier, nous essayons de comprendre pourquoi la peau est douloureuse dans le cadre de maladies génétiques à expression cutanée. Avec le second, nous tentons de mettre au point des traitements antalgiques à base de nanoparticules pour prendre en charge la douleur osseuse. Rappelons que ces douleurs – cutanées et osseuses – sont celles pour lesquelles nous avons le plus de difficultés à être efficace, chez l'enfant comme chez l'adulte.
On s’attendait à développer une thérapie contre la kératodermie mais pas contre la douleur !
Vous avez participé à une avancée thérapeutique majeure entre 2018 et 2020 pour traiter les symptômes du syndrome d’Olmsted. Quels étaient les enjeux de cette recherche ?
Cette maladie, épouvantable, se manifeste chez les enfants par une hyperkératodermie palmoplantaire – apparition d’une couche cornée très importante au niveau des extrémités, notamment la plante des pieds et les mains. Impactante socialement, physiquement et très douloureuse, cette pathologie est liée à une mutation du gène TRPV3 qui le rend très actif et génère ces symptômes. Nous n’avions aucun traitement pour la douleur mais nos recherches nous ont permis de repositionner un traitement intitulé Erlotinib utilisé en oncologie – un inhibiteur de l’EGFR, une protéine qui joue un rôle clé dans la voie de signalisation impliquée dans la formation des cancers. Nous avons montré un lien entre la protéine TRPV3 et l’EGFR. Le TRPV3, suractivé, active l’EGFR qui, en retour, active le TRPV3, ce qui fait entrer dans un cercle de production de cette kératodermie. Avec l’Erlotinib, nous avons trouvé le moyen de casser ce cercle infernal.


Mais qu’en est-il de la douleur ?
Après la prise de l’Erlotinib, nous avons constaté chez les enfants une rémission de la kératodermie. Mais – on ne s’y attendait pas – ce qui disparaissait en premier était la douleur. Nous avons alors compris que cette voie EGFR devait forcément jouer un rôle majeur dans la douleur. On s’attendait à développer une thérapie contre la kératodermie mais pas contre la douleur ! C’est dans ce cadre que j’ai créé une équipe de recherche (dans le cadre du programme ATIP-Avenir de l’Inserm) au sein de laquelle nous travaillons maintenant sur la compréhension des mécanismes de la douleur dans les maladies génétiques de la peau.
Avez-vous déjà participé au développement de traitements dans le cadre de cette recherche ?
L'Erlotinib est désormais le traitement de référence international dans le syndrome d’Olmsted et de nombreuses publications montrent qu’il permet une rémission, de quasi complète à complète. Au sein de mon équipe clinique à l’hôpital Necker, nous avons mis au point de nouveaux traitements en repositionnant certains médicaments par voie locale pour éviter tout risque d'effet secondaire chez l'enfant. Il s’agit de nouveaux traitements dans le sens où l’on utilise des molécules qui n'étaient pas connues pour avoir un effet antalgique. Nous avons déjà déposé 12 brevets d'innovation thérapeutique et nous espérons que ces molécules arriveront rapidement sur le marché.
Comprendre les pathologies rares permet aussi de mieux soigner les maladies fréquentes ?
Absolument ! Comprendre, dans le cas du syndrome d'Olmsted, comment le message douloureux est envoyé des kératinocytes (les cellules de la peau) aux fibres nerveuses, c'est avoir ensuite la capacité de prendre en charge, par exemple, les brûlures (simples ou graves), des maladies plus fréquentes comme l'eczéma, le psoriasis etc… Et des pathologies génétiques à expression cutanée. Lorsqu’on identifie la mutation dans les maladies génétiques, on parvient ensuite à mieux identifier ce qui découle de cette mutation. C'est le modèle que nous avons mis en place.
Votre parcours est soutenu par la Fondation depuis près de 20 ans. Est-ce que vous pouvez nous raconter votre rencontre ?
J'ai été victime de violences enfant et j'ai été placée à l'aide sociale à l'âge de 14 ans. J’avais déjà la volonté de devenir médecin et à 18 ans, j'ai réussi le concours de la première année. J'étais également passionnée par la recherche et j’ai réussi, en deuxième année, un autre concours pour accéder au double cursus Médecine-Sciences de l’Ecole de l’Inserm Liliane Bettencourt. J’ai alors eu la chance d’être présentée aux équipes de la Fondation par l’un de mes professeurs et d’obtenir une bourse. J’ai été ainsi soutenue jusqu’à mon arrivée en thèse puis durant mes années de praticien-hospitalier afin de continuer la recherche. La Fondation a ensuite accompagné mon projet de recherche fondamentale sur les douleurs de la peau. Et ce n’est pas tout puisqu’elle a été aussi à mes côtés lorsque j’ai voulu m'engager dans la protection de l'enfance.
J'ai été victime de violences enfant et j'ai été placée à l'aide sociale à l'âge de 14 ans. J’avais déjà la volonté de devenir médecin.
Vous avez témoigné de cette enfance difficile dans La Démesure, livre que vous avez publié en 2013. Comment et pourquoi avez-vous décidé de raconter cela ?
Je n’avais pas prévu d'écrire un livre, on me l'a proposé et j’ai pensé que c'était une bonne façon de faire entendre ma voix pour défendre les enfants victimes de la violence. C'était un moyen, et pas une fin. J’ai écrit ce témoignage pour être médiatisée et agir, en faisant mieux connaitre les ravages causés par les violences faites aux enfants, et en participant à la lutte.
On parle beaucoup des conséquences des violences sur les enfants sur le plan psychologique mais peu sur leur santé...
On connait les dégâts psychologiques – 48% d'enfants victimes de violences développent des troubles psychiques, 25% des dépressions sévères. Ou encore en termes de scolarité – 13% accèdent au brevet des collèges, 5% passent le bac, 1% suit des études supérieures. On sait moins que les enfants victimes de violences non prises en charge précocement, risquent aussi de perdre 20 ans d'espérance de vie. Les impacts sont endocrinologiques, métaboliques et neurologiques avec toute une cohorte de pathologies : diabète précoce, hypertension, maladies cardiovasculaires, risques d'AVC, déficit immunitaire. Les violences récurrentes modifient aussi l'architecture cérébrale des enfants, entrainant des difficultés de régulation des émotions, des troubles des apprentissages. Voilà pourquoi il faut les prendre en charge au plus tôt. Comme pour les radiations, les conséquences dépendent de la force du traumatisme, et de la durée d'exposition.
On sait moins que les enfants victimes de violences non prises en charge précocement, risquent aussi de perdre 20 ans d'espérance de vie.
Ce livre a été le point de départ de votre engagement puisque vous avez rejoint le Conseil National de Protection de l’enfance (CNPE) et créé ensuite l’association IM’PACTES…
Après la sortie du livre, j’ai travaillé avec Laurence Rossignol, ministre de la Famille et de l'enfance, et participé à l'élaboration de la loi du 14 mars 2016 qui a réformé le cadre de la protection de l'enfance en France et créé le CNPE. J'ai ensuite été élue au bureau et monté la Commission santé de l'enfant en protection d'enfance. En 2020, j’ai été appelée par Madame Brigitte Macron qui souhaitait visiter les services pédiatriques de l’hôpital Necker. J’ai eu alors l’occasion de lui parler d’un projet qui me tenait à cœur, la création d’équipes mobiles hospitalières référentes en protection de l'enfance, qui puissent être appelées dans les services quand il y a un doute sur le fait qu'un enfant soit victime de violence. Madame Macron, via la Fondation des hôpitaux, a soutenu ce projet et nous avons créé sept équipes mobiles référentes en protection d'enfance dans cinq hôpitaux de l’AP-HP. J’ai alors réalisé qu’en mettant en place un projet pertinent grâce au mécénat, celui-ci pouvait être repris, et développé, dans le cadre une politique publique. J’ai décidé de créer l’association IM’PACTES en 2022 avec la volonté de reproduire cette démarche.
Quelles sont les missions de votre association ?
Accompagner les enfants de 0 à 25 ans pris en charge par l'aide sociale à l'enfance en travaillant autour de deux axes. Le premier est dédié aux questions de scolarité, d’accès à la culture et d’insertion professionnelle. Le second est tourné vers la santé avec la création de centres d'appui à l'enfance. Des centres experts, capables de faire les bilans de santé complets – somatiques et psychologiques – quand des enfants arrivent dans le dispositif de protection d'enfance, et de concevoir ensuite des parcours de soins coordonnés pour leur permettre de guérir des séquelles de ces traumas. Ces centres d’appui, qui existent déjà avec succès en Allemagne, au Canada ou en Californie, sont totalement inédits en France. Le premier ouvrira à Paris en octobre 2025.
Voilà 12 années que vous consacrez votre carrière à soigner les maux des enfants. Comment comptez-vous poursuivre cet engagement ?
IM’PACTES est aujourd’hui implanté en Île-de-France et s’étendra aux Hauts-de-France en septembre 2025. Mon ambition est que nous soyons présents sur tout le territoire d’ici 10 ans, avec un centre d'appui à l'enfance par région et un déploiement dans les départements. Côté recherche, je veux amener sur le marché des traitements pour tous les types de douleur chez les plus jeunes. Ma satisfaction est de faire ma part pour les enfants. Pour leur santé, leur bien-être, et leur avenir.
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