Faire du sport un vecteur d’insertion, c’est la mission que se fixe Sport dans la Ville en accueillant, depuis plus de 25 ans, des jeunes de 6 à 20 ans issus des quartiers prioritaires. A l’occasion de l’inauguration de son nouveau campus à Pantin, Philippe Oddou, co-fondateur et directeur général de l’association, nous raconte le succès de cette expérience, soutenue dès la première heure par la Fondation.
Vous avez inauguré le 12 octobre 2024 un nouveau centre à Pantin. Pouvez-vous nous présenter ce campus ?
Philippe Oddou. Nous avons obtenu en 2023 l’autorisation de la Seine-Saint-Denis de réhabiliter l’ancien stade Marcel Cerdan, avec l’accord de la mairie de Pantin. Nous nous sommes tout de suite lancés dans les travaux et inaugurons, en un temps record, ce lieu assez extraordinaire… Un hectare et demi avec quatre terrains de foot et de basket, une piste d’athlétisme, une aire de jeux et un bâtiment de 500 m² qui abritera des salles multisports et nos espaces d’accueil. Très bien équipé, ce campus est idéalement situé à la lisière d’Aubervilliers, de Bobigny et de La Courneuve, ce qui permet d’accueillir un grand nombre de jeunes issus des quartiers prioritaires de la Seine-Saint-Denis. Nous allons leur offrir un accès gratuit au sport, en misant sur la parité. Nous avons pour cela renforcé le nombre d’heures d’activités pour les filles et féminisé l’encadrement comme les disciplines (danse, boxe…). En vitesse de croisière, le lieu accueillera 10 000 jeunes franciliens par an et sera également ouvert aux établissements scolaires et aux associations du territoire. Un projet qui s’inscrit dans le programme Héritage et impact des Jeux Olympiques, labellisé Paris 2024.
Dans le même temps, vous proposez à ces jeunes un dispositif d’accès à la formation ?
PO. Nous travaillons à la création prochaine d’un second pôle dédié à nos programmes d’insertion. Les 15-25 ans pourront y bénéficier d’un accompagnement sur trois ans pour les aider à choisir leur future profession, identifier la meilleure formation et les mettre en relation avec des entreprises partenaires pour organiser stages, alternances et recrutements. Parallèlement au sport, ces programmes sont aussi au cœur de notre mission.
Sport dans la Ville se fixe en effet un double objectif, l’accès au sport mais aussi à l’emploi…
PO. L’association a été fondée à Lyon en 1998 par Nicolas Eschermann et moi-même avec une volonté : agir pour l’égalité des chances, qu’il s’agisse de sport, de formation ou d’emploi. On sait le prix élevé des cotisations dans les clubs sportifs, on connait les taux de chômage importants dans les quartiers difficiles, alors que ces territoires recèlent d’autant de talents et d’envies que partout ailleurs. Forts de ce constat, nous avons choisi d’utiliser la magie du sport pour créer la rencontre et offrir un accompagnement plus global, sachant que les valeurs du sport se révèlent très précieuses pour bâtir un parcours professionnel.
Cette volonté de faire du sport un vecteur d’insertion vous a incité à créer le programme Job dans la Ville. Quel est son rôle ?
PO. L’association s’est lancée en créant des centres sportifs pour les 6-14 ans. Nous avons ensuite prolongé l’expérience et créé parallèlement Job dans la Ville pour nos premiers jeunes, devenus adolescents. La bascule du sport vers l’insertion se passe toujours de façon naturelle car tous sont très attachés à l’association, et lui font confiance.
Dès 15-16 ans, les jeunes qui s’inscrivent au programme Job dans la Ville rencontrent un responsable insertion avec lequel ils réfléchissent à leur orientation et leur formation, au fil de rendez-vous mensuels et individuels. Celui-ci leur propose aussi des temps collectifs : visites d’entreprises, rencontres avec des professionnels, forums de découverte des métiers. Et notre volonté est d’accompagner toutes les vocations, qu’il s’agisse d’électromécanique ou d’une entrée à Sciences Po !
Enfin, nous avons enrichi ce dispositif en 2009 avec le programme Entrepreneurs dans la Ville pour des jeunes qui souhaitent se lancer dans la création d’entreprise.
Découvrir le programme Job dans la VilleTous vos centres bénéficient-ils de ces deux pôles ?
PO. Nous proposons partout des activités sportives et des programmes d’accès à l’emploi, et pas seulement. L’association organise également des sorties culturelles et des séjours de vacances, pour que les jeunes sortent de leur quartier. Nous travaillons notamment avec des ONG internationales, et plusieurs centaines de jeunes partent chaque année en France et à l’étranger, comme au Brésil avec l’association Gol de Letra. Ils reviennent généralement métamorphosés par ces voyages. Ces expériences sont source de souvenirs heureux qui, souvent, transforment leur vie.
Combien gérez-vous de centres aujourd’hui ? Et quels sont vos projets ?
PO. Sport dans la Ville est déployé dans cinq grandes régions de France avec 78 centres en activité, dont deux campus de plus grande envergure, à Lyon et désormais à Pantin. 15 000 jeunes sont inscrits dans nos programmes, encadrés par 190 éducateurs sportifs à mi-temps, et près de 200 salariés permanents œuvrent dans les 35 villes où nous sommes présents.
Nous mesurons le chemin parcouru, mais il reste encore tant à faire… On compte 1 200 quartiers prioritaires de la politique de la ville, et nous sommes présents dans 78. Notre objectif est de faire croître le nouveau campus de Pantin, en doublant les effectifs d’ici un an. Et nous rêvons d’un troisième lieu de même envergure pour 2026 à Lille, dans la région Nord où nous sommes déjà présents depuis 6 ans.
Procédez-vous à des mesures d’impacts, pour tester l’efficacité de vos actions ?
PO. Nous suivons la fréquentation de nos centres où le nombre d’inscrits croît régulièrement, de 3 à 5% chaque année. Par ailleurs, nos enquêtes récentes montrent qu’un jeune sur deux, inscrit à l’association, rejoint le dispositif Job dans la Ville entre 15 et 25 ans. 90% de ceux qui participent à ce programme, ressortent avec un diplôme et un emploi, faisant passer le taux de chômage à 16% alors qu’il est de 32% dans ces quartiers. Nos résultats sont dans la moyenne nationale, ce qui nous permet de gommer l’effet banlieue.
Grâce à ces succès, nous sommes soutenus par les villes, les régions, les métropoles. Nous bénéficions également de subventions de l’Etat – du ministère du travail, de la cohésion des territoires et des sports qui cofinancent la construction des terrains de sport. Nos soutiens sont publics à 25%, le reste provient de ressources privées.
La Fondation Bettencourt Schueller est à vos côtés depuis 2009. Pouvez-vous nous parler de ce compagnonnage ?
PO. La Fondation est notre plus fidèle soutien, depuis le tout début de cette aventure. Parce qu’elle est installée à Paris, on l’imaginait loin des préoccupations territoriales. Nous avons découvert qu’au contraire, elle possède une grande connaissance des territoires et enracine ses soutiens avec des projets qui impactent concrètement la vie des gens, et souvent dans des lieux délaissés. La Fondation offre un accompagnement sur le long terme, ce qui est très précieux pour structurer nos actions, et tisse de vrais liens avec les structures qu’elle soutient en organisant des rencontres, des échanges de bonnes pratiques qui nous aident à aller plus loin. Adepte du temps long, la Fondation sait également réagir en cas d’urgence. Durant la période du Covid-19 où nous avons vécu une situation financière dramatique, elle a été à nos côtés et nous a tout simplement permis de survivre.