Olivier Bernus est membre de l’Institut des maladies du rythme cardiaque de Bordeaux (Liryc) et l’un des chercheurs les plus réputés dans le domaine des anomalies cardiaques. Jean Galfione est médaillé olympique en saut à la perche aux Jeux d’Atlanta de 1996 et parrain de cet institut. Leur expérience est très différente mais tous deux savent le rôle crucial d’une pratique sportive, pour la prévention des accidents cardiaques comme pour la santé et le bien-être de tous.

Vous êtes responsable du pôle Physiopathologie à l’Institut des maladies du rythme cardiaque de Bordeaux (Liryc). Quelles sont les missions de cet institut ?

Olivier Bernus. Il a pour but de mieux comprendre, prévenir et traiter les troubles du rythme cardiaque. Rappelons-le, le cœur est une pompe qui permet au sang de circuler, amenant ainsi l'oxygène et les nutriments aux différents organes. Les contractions de cette pompe sont générées par une activité électrique et celle-ci peut se désorganiser, créant alors un trouble du rythme cardiaque. Au sein de l’institut, nous nous intéressons aux différentes pathologies en lien avec ces troubles et notamment la fibrillation ventriculaire, une désorganisation électrique qui se produit au niveau des ventricules et empêche les muscles cardiaques de se contracter de manière normale. Le tout avec des conséquences dramatiques, qui peuvent aller jusqu’à une mort subite.

Existe-t-il des signes annonciateurs de cette anomalie ?

OB. On sait que certaines pathologies entrainent un risque accru de cet accident, notamment l’infarctus du myocarde, mais nous ne pouvons aujourd’hui prédire le risque individuel. Voilà pourquoi nous cherchons à développer un outil de diagnostic préventif, dans le cas d’antécédents cardiovasculaires connus mais aussi chez des sujets apparemment sains, dont c’est le premier symptôme. Chez les personnes qui font une mort subite dite « récupérée » – prise en charge à temps avec un massage cardiaque et une défibrillation – on procède à des examens cliniques pour identifier l’origine de l’accident et ceux-ci ne révèlent parfois rien d'anormal. Or, nos travaux récents ont démontré qu'avec des examens plus précis, on peut observer des micro-altérations au niveau du muscle cardiaque, lesquelles restent invisibles avec une IRM ou un scanner. Notre but est de concevoir un nouvel outil de dépistage pour identifier les personnes à risque avant qu'elles ne déclenchent ce processus. Le projet, financé par la Fondation Bettencourt Schueller, permettra le développement d’un nouvel outil électrocardiographique non-invasif et facilement utilisable, car il s’adresse a priori à un large public qui ne présente pas nécessairement de symptômes. Rappelons que le sujet constitue un vrai problème de santé publique. Les morts subites représentent 50 000 décès par an en France ; soit un décès toutes les 10 minutes.

Vous êtes un sportif connu de tous les Français. Spécialiste du saut à la perche, vous avez été champion olympique dans cette discipline à Atlanta en 1996. Quel souvenir avez-vous de ces Jeux ?

Jean Galfione. Pour un sportif, les Jeux olympiques sont la quête d'une vie. Pour moi, ils ont représenté huit années d'entraînement tous les jours, sans exception. Cette préparation physique est essentielle mais elle ne fait pas tout ; il faut aller chercher la performance, avoir envie de sortir du lot, de faire partie d'un monde exceptionnel, extraordinaire. La forme physique n’est pas un but en soi, elle est une conséquence de la préparation pour la compétition. Cette période a été essentielle dans ma vie et elle m’a fait connaître les sensations d’un corps en pleine possession de ses moyens. Aujourd'hui, je fais toujours beaucoup de sport, pour mon plaisir et ma santé.

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    Vue extérieure de l'Institut Liryc à Bordeaux.
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    Professeur Olivier Bernus, responsable du Pôle Physiopathologie à l’Institut de Rythmologie et Modélisation Cardiaque à Bordeaux.
    © Marie-Astrid Jamois
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    Jean Galfione, médaillé olympique et parrain de l'Institut Liryc.
    © Gautier Dufau
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    Deux chercheurs de l'institut Liryc à Bordeaux.
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    Institut Liryc à Bordeaux.

Vous êtes désormais le parrain de l’institut Lyric. Comment l’avez-vous connu ? Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette démarche ?

JG. J’ai été contacté par l’institut et j’ai découvert le travail extraordinaire réalisé autour de ce sujet très préoccupant, comme le montrent les chiffres de mortalité liés à ces arrêts cardiaques instantanés, trop longtemps considérés comme une fatalité. Je me suis rendu à Bordeaux et j’ai rencontré des chercheurs parmi les plus réputés au monde. J’ai été particulièrement séduit par cette quête d'excellence dans la recherche, ce goût pour le dépassement qui existe aussi dans le domaine du sport. J’ai eu envie de participer à l’aventure car je sais qu’une pratique sportive est un formidable outil de prévention contre les maladies, et c’est d’autant plus vrai pour les pathologies cardiaques. Je suis très heureux si mon nom peut contribuer à faire passer le message.

Quels sont les effets d’une pratique sportive sur le cœur ?

OB. Comme je l’ai précisé, le cœur a pour fonction principale d'amener l'oxygène et les nutriments aux différents organes. Quand on pratique un sport, les organes et les muscles ont davantage besoin d'oxygène et la fonction cardiaque joue un rôle primordial pour répondre à ces sollicitations. L’activité physique participe à améliorer les propriétés du cœur. Il s’agit d’un muscle, et si on l'entraîne, ses propriétés vont se développer davantage afin d'optimiser sa fonction. Le cœur s'hypertrophie, s'épaissit et augmente sa force de contraction pour intensifier son débit et irriguer davantage les tissus en leur apportant de l’oxygène. L'exercice régulier transforme le cœur, et ces modifications améliorent les performances sportives. Un cercle parfaitement vertueux.

Sans être un sportif de haut niveau, la pratique d’une activité physique joue-t-elle un rôle sur cette transformation du cœur que vous décrivez ?

OB. L'Organisation mondiale de la santé recommande 150 à 300 minutes d'exercices modérés par semaine (marche, course, vélo…). Et on sait aujourd’hui qu’une activité physique, même modérée, entraîne de nombreuses modifications au niveau de l'organisme, modifications qui contribuent à la prévention des maladies cardiaques. L’activité physique améliore la fonction des vaisseaux sanguins, prévenant l'apparition des plaques d'athéromes qui bouchent les artères coronariennes. Elle contribue donc, notamment, à la prévention de l’infarctus du myocarde. Et même si une personne sportive subit un infarctus, elle présentera moins de séquelles. Par ailleurs, les personnes qui font du sport ont une meilleure gestion du glucose, ce qui produit des effets bénéfiques en termes de prévention du diabète. L’activité physique permet aussi de réduire l'inflammation des tissus, dont on sait qu’elle peut impacter la fonction de nos organes.

Pour profiter de ces bénéfices, faut-il avoir fait du sport depuis l'enfance ?

OB. On peut s'y mettre à tous les âges. Plusieurs études ont démontré qu’après une à deux semaines d'exercice, on observe déjà des effets bénéfiques. Par ailleurs, j’ai évoqué jusqu’à présent les bienfaits en termes de prévention primaire (avant l’apparition des symptômes) mais l’activité physique participe aussi à la prévention dite secondaire. Des personnes qui présentent une pathologie cardiaque peuvent suivre un programme d'entraînement pour permettre au cœur de se régénérer et limiter la perte de fonction cardiaque après un infarctus.

Vous êtes des observateurs privilégiés de la place du sport dans notre société. Est-elle suffisamment valorisée ?

OB. Malheureusement, je ne le pense pas. Le taux de sédentarité, notamment des plus jeunes, est en augmentation. Et selon l'Organisation mondiale de la santé, un adulte sur quatre ne pratique aucune activité physique régulière. Mettre en place une communication efficace est donc indispensable pour valoriser des bienfaits du sport. Les chercheurs, les médecins et les cardiologues jouent leur rôle. En Nouvelle Aquitaine, le bus du Secours Tour a circulé dans une vingtaine de villes pour sensibiliser le grand public aux maladies cardiaques, aux facteurs de risques et à la prévention, avec la présence de cardiologues. Ce type d’initiatives devrait se multiplier, pour s’attaquer à ce qui constitue un vrai problème de santé publique. 

JG. Dans notre pays, on aime les sportifs, mais pas forcément le sport. Il est évident que l’activité physique n’occupe pas assez de place dans la vie des Français. Et cela commence dès l’école, où le sport n’est pas suffisamment valorisé ; au détriment de la santé des enfants, mais aussi de toutes les valeurs qu’il peut apporter. Pour faire évoluer les choses, il faudrait s'inspirer des programmes scolaires mis en place dans d'autres pays, notamment scandinaves et anglo-saxons. Les cours se terminent vers 15 heures pour laisser place à une véritable activité sportive quotidienne et, dans les campus universitaires, le sport, omniprésent, est un véritable mode de vie. En France, nous multiplions les campagnes de prévention mais nous n’allons pas assez loin. Il ne suffit pas de faire 10 000 pas par jour pour ressentir les bienfaits du sport sur notre moral et notre santé. Il faut une activité plus intense, à un rythme plus soutenu.

Pensez-vous que les Jeux olympiques puissent participer à redonner aux gens le goût du sport ?

OB. Je l’espère et à titre personnel, je pense que cela peut motiver le grand public à pratiquer un sport, et pas seulement pour ses bienfaits physiques. Je retrouve beaucoup des valeurs du sport dans le contexte de la recherche : la question de la performance, du dépassement de soi mais aussi de l'autocritique. Dans la recherche comme dans le sport, on n'atteint pas toujours ses objectifs, ce qui impose de se remettre en question pour aller plus loin. 

JG. Les Jeux olympiques vont avoir une influence positive et c’est tant mieux. Les enfants, notamment, vont admirer leurs champions et cela va les inciter à s’inscrire à la rentrée dans un club pour pratiquer eux aussi. J’espère que l’effet sera le même pour les adultes, mais il ne suffit pas de déclencher l’envie de faire du sport, il faut aussi mettre en place des structures réellement efficaces pour une pratique sportive de qualité. Les clubs doivent davantage investir, notamment dans la formation. Beaucoup de coachs sont des bénévoles qui doivent être formés et encadrés par des professionnels qui savent penser une progression, un accompagnement sur mesure pour donner à chacun la possibilité de tirer les vrais bénéfices du sport. En termes de santé bien sûr mais aussi de plaisir, d’émotions, de confiance en soi et de partage s’il s’agit de pratique collective. Ne l’oublions pas, le sport apporte bien-être et santé mais surtout, il rend heureux.

Olivier Bernus

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