Médecin-chercheur, gastro-entérologue à l’hôpital Saint-Antoine (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris), lauréat 2008 du Prix Bettencourt pour les jeunes chercheurs, le professeur Harry Sokol est aujourd’hui l’un des plus grands spécialistes des maladies inflammatoires de l’intestin. A l’occasion de la publication de son dernier ouvrage « Les extraordinaires pouvoirs du ventre* », il nous rappelle le rôle-clé du microbiote dans notre immunité et les bénéfices de la prévention…

Vous êtes gastro-entérologue, spécialiste des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. Quelles sont les plus fréquentes et qui est touché par ces pathologies ?

Lorsqu’on évoque les pathologies inflammatoires chroniques de l’intestin, on fait référence à deux maladies bien spécifiques : la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique. Loin d’être des maladies rares, celles-ci touchent plus de 250 000 patients en France et l’on évalue le risque de survenue au cours de la vie à 1 % de la population. Toutes deux sont des maladies complexes qui mêlent des facteurs génétiques, environnementaux et liées au mode de vie.  Ces maladies apparaissent généralement entre 20 et 40 ans, induisant une vraie altération de la qualité de vie. Enfin, il faut noter que leur fréquence augmente globalement en France, et dans tous les pays au mode de vie occidental.

Quelles sont les avancées en termes de traitement ?

Ces maladies chroniques fonctionnent par alternances de poussées et de rémissions. Pour y faire face, des traitements existent mais ils ne sont pas efficaces à 100 %, ni chez tous les patients. Tous agissent sur la composante immunitaire de la maladie, puisque celle-ci est la conséquence d’une activation inappropriée du système immunitaire dans l’intestin. Or, on sait aujourd’hui que cette activation est aussi associée à une altération du microbiote.

Qu’est-ce que le microbiote ?

Il s’agit d’un ensemble de bactéries, de virus, de parasites et de champignons non pathogènes qui colonisent notre tube digestif, à raison de quelques 10 000 milliards d’éléments. Soit autant que le nombre de cellules de notre corps tout entier !

Des recherches ont montré qu’une altération du microbiote joue un rôle dans la sévérité de l’inflammation intestinale et sa chronicité. Or, pour le moment, les traitements de ces maladies agissent sur le versant immunitaire, jamais sur celui du microbiote.

Vous évoquez l’apport de la recherche pour la connaissance de ces maladies…. Parallèlement à cette pratique médicale, vous-même exercez une activité de recherche. Comment combinez-vous ces deux activités ?

J’ai toujours été passionné par la biologie mais un chercheur de mon entourage m’a convaincu qu’il fallait commencer par la médecine avant de se diriger vers la recherche. J’ai donc fait médecine et j’ai ensuite complété ma formation par une thèse en sciences et un post-doctorat à Boston - grâce au soutien de la Fondation Bettencourt Schueller (Prix Bettencourt pour les jeunes chercheurs) - avant de créer mon équipe de recherche en 2012.  Aujourd’hui, au cours de mes activités cliniques, je discute beaucoup avec mes patients et leurs problématiques nourrissent mon travail en laboratoire. Je poursuis une recherche fondamentale orientée sur des questions médicales avec un double objectif : comprendre le fonctionnement de la maladie et trouver de nouvelles cibles thérapeutiques.

Votre projet de recherche est construit autour du rôle du microbiote dans l’immunité. Que sait-on sur le sujet ?

Le microbiote intestinal est l’ensemble des micro-organismes qui vivent dans notre intestin depuis notre naissance. La façon dont il se met en place à ce moment-clé contribue largement à sa composition. Si l’accouchement se fait par voie basse ou par césarienne, les premières bactéries qui vont coloniser l’intestin ne seront pas les mêmes. Les multiples interactions avec le monde microbien, qui surviennent au début de notre vie, vont faire empreinte sur notre immunité, et sur notre métabolisme – à savoir l’ensemble des fonctions de notre corps, y compris de notre cerveau. Comme un pas dans la neige, l’empreinte demeure. Et une altération du microbiote, tôt dans la vie, peut augmenter le risque de développer certaines maladies : obésité, allergies, maladies inflammatoires chroniques…

Sait-on aujourd’hui réparer les altérations du microbiote ?

On sait que le microbiote intestinal est impliqué dans de nombreuses maladies. Le cas le plus exemplaire est celui de l’infection intestinale par Clostridioides difficile, une bactérie qui se développe et entraîne une infection seulement dans le cas d’une altération du microbiote. Pour cette maladie, et surtout ses formes récidivantes, la transplantation de microbiote fécal est spectaculairement efficace. Mes travaux de recherche sur les maladies inflammatoires de l’intestin nous ont montré que les altérations du microbiote jouent aussi un rôle dans la maladie, avec notamment la diminution de bactéries anti-inflammatoires, au profit de bactéries favorisant l’inflammation.

Dans ce contexte, il est logique de chercher à restaurer le microbiote pour traiter les maladies. J’ai initié, dès 2012, un essai clinique autour de transplantation de microbiote fécal dans la maladie de Crohn. Il s’agissait du premier essai de ce type en France, toutes pathologies confondues. Celui-ci a mis beaucoup de temps à se mettre en place en raison des problématiques réglementaires mais les premiers résultats, publiés en 2020, sont encourageants.

Ouvrent-ils la voie à de nouveaux traitements ?

La transplantation du microbiote fécal n’est, à mon sens, qu’une étape dans les traitements basés sur le microbiote. La prochaine vise à identifier les bactéries porteuses d’effets thérapeutiques (anti-inflammatoires pour les maladies qui m’intéressent) dans le microbiote, les isoler, et les administrer comme médicament. Il s’agirait de probiotiques de nouvelle génération, loin des formules classiques vendues dans les pharmacies aujourd’hui, issues de végétaux et de produits fermentés.

Dès 2008, nous avons posé les bases de cette réflexion innovante en identifiant une bactérie clé du microbiote humain normal (Faecalibacterium prausnitzii) qui manque chez les malades atteints de la maladie de Crohn et qui présente des effets anti-inflammatoires. Quelques années plus tard, nous avons créé une start-up dont le premier essai clinique vient de débuter pour la maladie de Crohn.

Vous venez également de publier une bande dessinée destinée au grand public, baptisée « Les extraordinaires pouvoirs du ventre ». Quel est votre objectif avec cet ouvrage ?

Il est selon moi nécessaire que nous sachions tous comment fonctionne notre corps et comment nous pouvons en prendre soin. Il est encore plus essentiel que les patients comprennent leur maladie et soient impliqués dans la démarche thérapeutique qui leur est proposée. Avec mes malades, j’essaie de construire un travail d’équipe : ils ne peuvent pas faire grand-chose sans moi et moi, je ne peux rien faire sans eux ! Il existe beaucoup d’ouvrages sur le microbiote, souvent bien faits. J’ai pensé celui-ci en forme de BD car j’ai le sentiment que le cerveau comprend mieux avec des images (c’est le cas pour moi !). La démarche est celle que j’adopte tous les jours avec mes étudiants, mes patients et leurs familles.

Votre ouvrage aborde aussi le domaine de la prévention. Quel est son rôle exact ?

Nous l’avons vu, le microbiote se constitue dès la naissance mais il est possible néanmoins de le préserver et le plus tôt est le mieux. Notre organisme vit dans un équilibre fragile et il faut tout faire pour assurer sa stabilité. Si notre microbiote est altéré, notre système immunitaire réagit mal aux agressions. Le renforcer, c’est favoriser une immunité saine.

Quelles capacités a-t-on pour agir ?

Il faut veiller à ne pas l’agresser, en prenant seulement des antibiotiques lorsqu’ils sont indispensables car ils sont une importante source de perturbation du microbiote.

L’alimentation est ensuite un facteur clé avec une règle d’or : éliminer les produits transformés (avec conservateurs, émulsifiants, colorants et autres additifs...) qui constituent une source d’agression. Le meilleur conseil dans ce domaine est de suivre un régime méditerranéen : des fruits et des légumes en quantité, du poisson et peu de viande, des graisses végétales comme l’huile d’olive, peu de sucre raffiné, des fromages et des produits laitiers - à l’exclusion du lait si on est intolérant au lactose. Il faut savoir que l’alimentation est probablement le moyen le plus simple et le plus efficace de moduler notre microbiote, et ceci en quelques jours seulement ! 

Avec ce livre, votre mission se veut plus large…

Je cherche aussi à favoriser une prise de conscience globale. Mon ouvrage évoque le microbiote intestinal mais je dépasse cela pour rappeler que les microbiotes existent partout - dans le sol, les arbres, les animaux. Et nous mangeons des animaux nourris de végétaux qui ont puisé leurs ressources dans le sol : tout cela est connecté ! Préserver sa santé, c’est préserver son environnement. Pour prendre soin de soi, il faut prendre soin du monde…

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Harry Sokol

médecin-chercheur

Les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (ou MICI) regroupent la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique. Elles se caractérisent par une inflammation de la paroi du tube digestif, causée par une dérégulation du système immunitaire.

Les travaux de recherche d'Harry Sokol visent à élucider les rôles fonctionnels des gènes ATG16L1 et IRGM, dans la pathogenèse de la maladie de Crohn.

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