Martin Lenz Comment les protéines gèrent-elles leur frustration ?
Martin Lenz, directeur de recherche CNRS, Laboratoire de Physique Théorique et Modèles Statistiques, Orsay, France et Laboratoire Physique et Mécanique des Milieux Hétérogènes, Paris, France
- 2022 • Impulscience
L'auto-assemblage est crucial pour les cellules car il permet de rassembler des éléments individuels en structures biologiques fonctionnelles comme les protéines. Dans certains cas, des protéines mal assemblées s'agrègent et forment des fibres qui contribuent à l’apparition de maladies. Martin Lenz souhaite comprendre les principes physiques qui régissent l'auto-assemblage frustré, impliqué dans la formation de ces fibres, principes qui restent largement inconnus.
L’auto-assemblage organise les protéines au sein de la cellule
Dans nos cellules, les protéines s’auto-assemblent constamment pour former des structures fonctionnelles. Elles peuvent ainsi constituer les machines moléculaires responsables de la production de nouvelles protéines, des capsides virales et les composants du squelette de la cellule, dont les structures ont été optimisées au cours de millions d'années d'évolution. Dans le cas de certaines maladies, comme la maladie d’Alzheimer, des protéines aux formes complexes non optimisées s'auto-assemblent elles aussi. De manière surprenante au vu de leurs formes et de leurs interactions disparates, elles forment des structures relativement bien définies : des fibres. Martin Lenz s’apprête à étudier les mécanismes moléculaires qui sous-tendent ce phénomène, qu’il appelle « réduction dimensionnelle ».
Comprendre l’origine de la frustration dans les assemblages de protéines
Si nous observons l’auto-assemblage d’un ensemble d’objets (molécules ou particules de petite taille) qui s’attirent entre eux mais ne s’emboîtent pas parfaitement, les agrégats résultants contiennent des éléments mal alignés ou déformés. Au fur et à mesure de leur assemblage, les désalignements initialement faibles entre les premiers objets s’accumulent. Les objets nouvellement arrivés rencontrent un environnement plus contraint que leurs prédécesseurs. Ainsi, au cours de ce processus d’auto-assemblage une frustration géométrique s'accumule et la poursuite de l'assemblage est pénalisée. Les travaux préliminaires de l’équipe de Martin Lenz suggèrent que pour échapper à cette frustration, les agrégats forment des fibres : cette fameuse « réduction dimensionnelle ». Le développement de nouveaux outils théoriques et expérimentaux est nécessaire pour comprendre le rôle de la frustration dans l'auto-assemblage d’objets complexes de forme irrégulière, y compris les protéines.
Découvrir de nouveaux principes qui sous-tendent la formation de fibres dans certaines maladies
Impulscience soutient les travaux que Martin Lenz et son équipe vont réaliser pour prouver que la réduction dimensionnelle est un principe général de l’auto-assemblage. Pour ce faire, ils développeront de nouvelles méthodes théoriques sur les propriétés des assemblages de particules complexes. Ils sonderont expérimentalement l'auto-assemblage de colloïdes (des particules microscopiques en suspension dans un liquide) et de protéines en utilisant l'impression 3D à haute résolution et la diffusion des rayons X, ce qui leur permettra de découvrir les mécanismes de formation de ces assemblages. Ces travaux révéleront de nouveaux principes d'organisation de la matière. Ils représentent une avancée fondamentale dans la compréhension des objets similaires aux protéines et permettra de mieux comprendre la biologie et certaines maladies. Cela pourrait également avoir un impact dans l'ingénierie d’objets à l'échelle nano et microscopique, contribuer à une meilleure maîtrise des processus de fabrication de certains médicaments, et à optimiser des méthodes de cristallographie des protéines.
Martin Lenz en quelques mots
Martin Lenz est physicien mais rencontre le monde de la biologie dès ses études de master. Après un doctorat en physique en 2009 et un séjour post-doctoral à Chicago, Martin Lenz obtient en 2012 un poste de chercheur CNRS au laboratoire de physique théorique et modèles statistiques, à l’Université Paris-Saclay. Depuis 2018, il est aussi chercheur à l’ESPCI, à Paris. Il est devenu président de la division Physique et Vivant de la Société Française de Physique en 2022. Même s’il se définit lui-même comme théoricien, il travaille en étroite collaboration avec des expérimentateurs, ce qui lui permet de faire des contributions qui décrivent de manière significative les systèmes biologiques. Son travail a ainsi été soutenu par l’ERC (Starting grant, 2015) et reconnu par des prix à la fois en physique statistique fondamentale (Young Scientist Prize de l’International Union of Pure and Applied Physics (IUPAP)) et en biologie moléculaire (EMBO Young Investigator Award).
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