L'inclusion grâce au coliving, à la manière de l'association Fratries « Nous considérons que cette cohabitation est normale. Lorsque nous publions une annonce, nous ne précisons pas que la maison accueille des jeunes porteurs de handicap. »

Née en 2021, l’association Fratries conçoit des lieux inédits de coliving – des maisons parfaitement équipées qui permettent à des actifs de 20-35 ans et à des jeunes en situation de handicap mental de vivre ensemble. A l’occasion de l’inauguration d’une nouvelle adresse à Versailles, le point sur ce projet, soutenu par la Fondation depuis sa création.
Eléonore, Maxime, Marin, Marguerite… Ils étaient dix jeunes le 12 mars dernier, ravis de partager leur univers à l’occasion de l’inauguration de cette belle maison versaillaise, proposée en coliving par l’association Fratries. Au fil de la visite, on découvrait tour à tour des chambres individuelles parfaitement aménagées, des espaces communs lumineux et cosy et un grand jardin où certains savouraient déjà les premiers soleils. « Je suis là depuis trois mois seulement et je me sens vraiment chez moi ! », concluait Marguerite, dont le sentiment était, à l’évidence, unanimement partagé.
Une façon de résoudre le sentiment de solitude ressenti par les jeunes générations.
Aménagée à deux pas du centre-ville et non loin du château de Versailles, cette maison est la sixième proposée à des jeunes de 20-35 ans par l’association, dans l’esprit de deux entrepreneurs sociaux, Aurélien L’Hermitte et Emmanuel de Carayon. « Nous étions déjà investis aux côtés de jeunes porteurs de handicap et nous avons commencé à réfléchir avec eux à la façon dont ils pourraient vivre "une vie comme tout le monde", ce dont ils rêvent tous. Pour eux, la formule signifie d’abord habiter en milieu ordinaire, ce qui est seulement le cas pour une infime minorité. Aujourd’hui, la plupart vivent chez leurs parents, y compris à l’âge adulte, ou alors dans des foyers, explique Aurélien L’Hermitte. Dans le même temps, nous avons découvert que, selon plusieurs études*, 1 jeune sur 3 déclare se sentir seul. L’association Fratries est née dans ce double constat, avec une ambition. Proposer un logement commun à des jeunes – porteurs ou non de handicap – pour les aider à sortir de l’isolement, et leur offrir une façon de vivre ensemble. »
« Nous étions déjà investis aux côtés de jeunes porteurs de handicap et nous avons commencé à réfléchir avec eux à la façon dont ils pourraient vivre "une vie comme tout le monde", ce dont ils rêvent tous. »
Un équilibre entre jeunes, porteurs ou non de handicap
A Nantes, Rennes ou en Ile-de-France, et toujours en centre-ville pour favoriser les échanges et la vie culturelle, les coliving Fratries fonctionnent sur un même modèle. Les maisons proposent des chambres individuelles pour préserver l’intimité de chacun et des espaces communs – salon, salle à manger, cuisine – où les jeunes peuvent se retrouver ; le tout prolongé par l’appartement d’un responsable de maison qui anime le lieu. Les jeunes qui partagent ces maisons à taille humaine sont entre dix et quinze, la moitié d’entre eux étant porteur d’un handicap mental. Tous obéissent à des règles pensées dans une stricte égalité. « Contrairement à de nombreuses structures de ce type, nous considérons que cette cohabitation est normale. Lorsque nous publions une annonce, nous ne précisons pas que la maison accueille des jeunes porteurs de handicap et, lorsqu’ils l’apprennent, la plupart des candidats considèrent que ce n’est pas un sujet, poursuit Aurélien L’Hermitte. Il s’agit d’une génération qui a beaucoup entendu parler d’inclusion, à l’école et dans les médias. Lorsqu’on leur dit qu’ils vont êtes cooptés par des jeunes, dont certains porteurs de handicap, 80% d’entre eux sont naturellement prêts à participer à l’aventure. »
Aucune obligation de présence, mais une envie partagée de vivre ensemble
Autre symbole de cette égalité revendiquée, les colocataires s’acquittent tous d’un loyer fixé selon leurs revenus. Les jeunes porteurs de handicap, qui disposent le plus souvent de faibles ressources, paient environ 500 euros par mois (charges comprises), tandis que les autres versent un montant correspondant aux règles du marché local. « Ceci fait la force du modèle. Les jeunes ne sont pas là pour bénéficier d’un logement moins cher pour compenser une cohabitation avec des jeunes porteurs de handicap. Cette règle est essentielle pour vivre ensemble de façon saine et naturelle, explique Aurélien L’Hermitte. » Ici, pas d’éducateurs mais seulement des accompagnants qui interviennent au quotidien pour soutenir les jeunes en situation de handicap, si nécessaire. Dans le même esprit, les jeunes actifs ne doivent répondre à aucune obligation en termes de présence, le soir ou le week-end.
Une cohabitation réussie, source d’épanouissement et de stimulation
Après trois années de fonctionnement, l’association Fratries a initié une enquête permettant de mesurer l’impact de ses actions. Celle-ci sera finalisée en juin prochain, mais les premiers résultats attestent déjà de la réussite du projet. Le modèle favorise tout d’abord l’insertion professionnelle des jeunes porteurs de handicap. « 100% d’entre eux sont employés en CDD ou CDI dans une entreprise après 18 mois dans un coliving Fratries, contre moins de 1% en milieu ordinaire** assure Aurélien L’Hermitte. A l’évidence, cette cohabitation constitue un incroyable stimulant. Les jeunes actifs racontent leurs journées de travail, donnent spontanément des conseils et tissent surtout une relation de confiance avec les jeunes handicapés, ce qui leur donne de la force et les aide à se sentir légitimes ». Autre indicateur important, les colocataires Fratries restent entre 18 mois à 2 ans dans une même maison, alors que la moyenne est de 12 à 18 mois dans un coliving ordinaire. A l’évidence, les jeunes se sentent bien ensemble. Selon la même enquête, ils passent 3 à 4 soirées par semaine dans la maison pour diner et échanger, et jusqu’à deux week-ends par mois.
« Les jeunes actifs racontent leurs journées de travail, donnent spontanément des conseils et tissent surtout une relation de confiance avec les jeunes handicapés, ce qui leur donne de la force et les aide à se sentir légitimes. »
Vers un équilibre économique à l’horizon 2030
Forte de ces résultats, l’association souhaite amplifier ses actions en ouvrant 3 à 5 maisons par an et entend également atteindre l’équilibre économique d’ici 2030. « Nous avons eu la chance de bénéficier du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller et de la Fondation Crédit Mutuel Alliance Fédérale, dès la naissance de ce projet de coliving inclusif. Elles ont joué un rôle de "social angel" nous aidant à nous lancer dans cette initiative entrepreneuriale non lucrative, et ensuite à nous développer, poursuit Aurélien L’Hermitte. » Au fil des années, l’association a également tissé des liens avec des investisseurs solidaires qui lui louent des maisons en renonçant à une part de leur rentabilité habituelle afin qu’elle puisse loger les jeunes en situation de handicap à des loyers inférieurs au marché. Elle est aussi en contact avec d’autres acteurs économiques pour assurer son développement et son futur équilibre, le tout avec un ultime objectif. Convaincre les acteurs de colocations ordinaires d’accueillir eux aussi des personnes porteuses de handicap mental. Une étape majeure dans l’essaimage de ce projet qui impose de transformer certaines règles administratives, mais aussi de faire évoluer encore les mentalités.
* Etude annuelle réalisée par le Credoc pour la Fondation de France. Selon les chiffres de 2024, 35% des 25-39 ans déclarent se sentir seuls.
** Selon une étude menée par l’association Café Joyeux et publiée par Cap Emploi en 2024, seules 0,5% des personnes atteintes de handicap mental travaille en milieu ordinaire. Et les personnes handicapées mentales sont 2 à 3 fois plus touchées par le chômage que le reste de la population.
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