Un nouveau mobilier liturgique pour Notre-Dame de Paris Interview avec le designer Guillaume Bardet
Alors que la réouverture de la cathédrale au public et au culte est prévue le 8 décembre 2024, l’archevêché vient de choisir le nouveau mobilier liturgique qui y sera installé. De véritables œuvres d’art, imaginées par le designer Guillaume Bardet − lauréat en 2011 du Prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main® de la Fondation Bettencourt Schueller.
Vous avez été choisi parmi 5 finalistes (et 70 candidats !) pour réaliser le mobilier liturgique de Notre-Dame. Aviez-vous déjà travaillé dans ce domaine ?
J’ai créé, en 2017, une représentation de la Cène que j’ai exposée au couvent de la Tourette. J’ai eu alors l’occasion de passer du temps dans ce lieu et de rencontrer les frères qui m’ont ensuite commandé une croix et un calice ; ma première expérience de commande liturgique. En avril 2019, j’étais en train de finaliser l’exposition de cette Cène à la Galerie kreo (nldr qui représente le designer) quand est survenu l’incendie de la cathédrale. J’étais à côté, je l’ai vue brûler ! Lors du vernissage, deux jours plus tard, le drame était dans tous les esprits et plusieurs personnes m’ont dit que cette table pourrait être celle de Notre-Dame. Ces mots sont restés dans ma mémoire. Bien sûr, j’avais envie d’en être ! J’ai déposé ma candidature en octobre 2022 et j’ai plongé dans l’aventure. Appel d’offres, première sélection en janvier 2023 avec 5 finalistes et élaboration du projet (maquettes, plans images de synthèse), le tout selon un cahier des charges très précis pour une remise le 23 mai… J’ai passé 5 mois à ne faire que cela !
Comment avez-vous pensé ce mobilier, comme un message universel ?
Notre-Dame accueille en moyenne 15 millions de visiteurs par an, et pas seulement des chrétiens. Avec cette œuvre, je m’adresse d’abord aux catholiques mais je cherche aussi à parler aux autres. A faire comprendre qu’il est question ici de religion et, plus largement, de spiritualité. Pour cela, j’ai commencé par travailler autour d’une triple temporalité − passé, présent et futur. Je cherche en fait à être dans une forme de présent perpétuel ; dans l’immuable. Cela passe par des lignes pures, une simplicité, une recherche de l’évidence. J’ai créé un jeu de maquettes en cire, conçu les pièces comme un ensemble qui doit évoluer à l’unisson, dans un dialogue et une quête d’équilibre.
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Vous avez convaincu l’archevêché du choix du bronze. Pourquoi ce matériau ?
Je n’ai pas pris toute de suite la décision. C’est en visitant Notre-Dame en janvier 2023 qu’elle est devenue une évidence. Les pierres de la cathédrale avaient déjà été nettoyées, diffusant une lumière extraordinaire avec laquelle il est impossible de lutter. Il fallait une autre matière pour coexister simplement. Le bronze s’est imposé.
Il implique la présence, à vos côtés, des artisans d’art de la fonderie Barthélémy Arts (Crest)…
Ce lieu est mon deuxième atelier ! Il s’agit d’une très belle fonderie d’art qui emploie 40 artisans d’art et c’est à travers elle que j’ai vraiment découvert le bronze, moi qui vis dans la Drôme, à Dieulefit, un village de potiers. L’entreprise réunit toutes les nationalités et toutes les religions, sans compter les non croyants, et tout le monde est ému, bouleversé, transcendé par ce projet commun. J’ai également associé à l’aventure l’entreprise Grain d’Orge installée à Grâne. Spécialisée dans la taille de pierre, elle assurera la réalisation des socles.
Vous avez commencé par penser l’ambon. Racontez-nous…
Je l’ai conçu, là encore, dans une sorte d’évidence, imaginant ce pupitre destiné à lire les Évangiles comme un livre ouvert qui prend une forme de T majuscule, symbole de la croix du Christ. Cette tribune, très légère et très puissante, va s’encastrer dans un socle en pierre qui rappelle celui des sculptures de la cathédrale. J’ai donné à cette œuvre une grande force car elle doit imposer sa présence durant la liturgie mais aussi en dehors des offices. L’ambon a été le prélude à l’ensemble du projet. Il m’a aussi permis de me libérer. De retrouver la concentration et la joie de travailler en oubliant un peu la pression.
Les autres pièces sont-elles nées de cette première ébauche ? A commencer par le baptistère que les visiteurs découvriront dès l’entrée…
Ma démarche s’est poursuivie dans cette volonté de simplicité, la quête du « juste nécessaire ». Cette pièce était très intéressante car il n’existait pas de baptistère fixe à Notre-Dame. Le cahier des charges offrait donc une certaine liberté, tout en imposant la présence d’un couvercle pour protéger l’eau sacrée. Comment faire pour que celui-ci n’occulte pas la symbolique du baptême ? J’ai résolu la question en imaginant un couvercle en bronze poli miroir qui représente les clapotis d’une rivière d’où surgit la croix du baptême. La forme circulaire est très simple, comme un calice ou un ciboire. Une forme qui vient de la nuit des temps…
L’autel sera installé dans le même axe. Comment l’avez-vous pensé ?
Ce fut l’œuvre la plus complexe à réaliser, car la plus contrainte. Le cahier des charges imposait en effet des dimensions précises et une forme verticale alors que l’évocation du repas de la Cène impose naturellement une horizontalité, l’autel du partage. Mon idée a été d’enlever le maximum de matière pour parvenir à une forme d’élévation. Je suis passé d’un parallélépipède très rigide à une forme ouverte et plus légère, tout un jeu d’équilibre.
De l’autre côté de l’autel, on retrouvera la cathèdre, le trône liturgique avec ses 2 sièges associés…
Cette pièce recèle tant de symboles… Privée de cathèdre, une cathédrale redevient une simple église. Et l’évêque, assis sur la cathèdre, symbolise la présence du Christ dans l’église. Mais comment pense-t-on un trône aujourd’hui ? Pour cela, j’ai choisi de partir d’une forme archétypale, capable de représenter à la fois le passé, le présent et l’avenir. Il s’agit de la curule, le tabouret des Romains dont j’ai retravaillé la forme. La base est identique pour les 3 fauteuils, le statut différent des prêtres étant représenté par les dossiers. Celui de l’archevêque est constitué d’un grand voile de bronze qui s’élève dans le ciel, orné d’une croix qui laisse passer la lumière, comme une étincelle. Les fauteuils associés présenteront ce même voile, mais moins haut.
Et enfin, parlez-nous du tabernacle…
Celui-ci sera posé sur l’ancien autel de Viollet-le-Duc, entouré de sculptures baroques qui constituent un environnement très chargé. J’ai choisi la simplicité en revenant à l’étymologie du mot tabernacle, « la tente ». Je l’ai conçu comme une petite maison en bronze gravé d’une croix dorée avec, devant, une bougie toujours allumée (en l’occurrence un Led). Elle s’ouvrira comme un livre, dévoilant une lumière révélée par le bronze poli miroir. Symbole de la présence lumineuse du Christ, avec le ciboire qui contient les hosties consacrées.
Maintenant, le compte à rebours est lancé. Quelles vont être les étapes pour mener à bien le projet ?
Je me suis engagé à livrer le tout en octobre 2024. J’ai travaillé tout l’été pour réaliser les modèles grandeur nature qui serviront à la fabrication des moules. Je dois finaliser l’ensemble d’ici le 5 octobre et le départ des pièces à la fonderie. Il faudra alors fabriquer les moules, préparer les cires qui seront les parfaits sosies de mes pièces et les placer dans des blocs de plâtre où sera coulé le bronze. Les ciseleurs prendront ensuite le relais pour une tâche colossale − l’autel, à lui seul, impliquant 1000 heures de travail à partir du moment où le bronze a été coulé. Nous aurons terminé ces étapes en juillet 2024 pour nous concentrer sur la patine, choisie in situ dans un dialogue avec les pierres et la lumière de la cathédrale.
Reconstruction de la cathédrale
Vous avez été lauréat en 2011 du prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main® de la Fondation. Quel rôle a-t-il joué dans votre parcours ?
J’avais obtenu cette récompense dans la catégorie Dialogues, avec un collectif de céramistes. Elle m’a donné une grande bouffée d’air et a constitué une étape importante, dans ma vie et dans mon parcours. Avec la Fondation, j’ai aujourd’hui l’impression de faire partie de la famille. Nous partageons les mêmes valeurs, notamment une grande proximité avec les métiers d’art. Je travaille tout le temps avec les artisans d’art. On peut dire que j’en suis un ambassadeur quotidien !
Où serez-vous le 8 décembre 2024 ?
Pour l’instant j’ai seulement en tête octobre 2024 et l’installation de mes pièces. Je reste concentré pour ne pas être envahi par l’émotion que je vais ressentir plus tard. Face à mon travail dans la cathédrale...
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Guillaume Bardet, Dominique Pouchain, Raelyn Larson, Séverine Dufust, Jean Dufour, Zélie Rouby, Quentin Marais
Guillaume Bardet & un collectif de céramistes, lauréats 2011 du Prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main® avec « l’Usage des jours »
Il y a tout juste 12 ans, la Fondation récompensait une aventure humaine et artistique inédite, conduite par le designer Guillaume Bardet. L’œuvre l’Usage des jours mettait au défi l’art du céramiste face à concept original… Traduire par la pratique de la terre 365 dessins et croquis, livrés quotidiennement par le designer. À l’automne 2009, Guillaume Bardet a commencé à dessiner un objet par jour et les a fait réaliser à Dieulefit, village de céramistes dans la Drôme. Œuvre collective, cette collection n’aurait pas existé sans la contribution des artistes céramistes Dominique Pouchain, Raelyn Larson, Séverine Dufust, Jean Dufour, Zélie Rouby et Quentin Marais. lls ont donné vie aux dessins du créateur en déclinant les savoir-faire les plus variés : porcelaine, biscuit, faïence ou grès…
La Fondation Bettencourt Schueller et Notre-Dame de Paris
En 2022, le soutien de la Fondation à la restauration de la cathédrale, grâce au mécénat de Téthys, s’est élevé à 18,7 millions d’euros, soit 30 % de son mécénat total. Pour mémoire, l’engagement de mécénat de Téthys pour contribuer à la reconstruction et à la restauration de la cathédrale (50 millions d’euros directement et 100 millions d’euros supplémentaires par le biais de la Fondation), et celui de L’Oréal qui a promis 50 millions d’euros, représentent ensemble 24 % du total des sommes collectées.
Pour la Fondation, cette opération s’inscrit dans la continuité d’une relation de 20 ans avec la cathédrale, haut lieu de métiers d’art et de chant choral – les deux axes de son mécénat culturel. Depuis 2002, date à laquelle sa Maîtrise a été lauréate du Prix Liliane Bettencourt pour le chant choral, la Fondation a tissé des liens précieux avec Notre-Dame, finançant en 2013 la réalisation du bourdon Marie et participant depuis 2015 au développement de sa Maîtrise. Le soutien de la Fondation a également permis la réalisation d'une série de films valorisant les savoir-faire des artisans d'art mobilisés sur le chantier.
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