Grégoire Scalabre invité au Domaine de Chaumont-sur-Loire Pour l'édition 2023 de la Saison d'art, les œuvres du céramiste seront exposées au Domaine de Chaumont-sur-Loire
Entretien avec Grégoire Scalabre, lauréat 2022 du prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main® - Talents d'exception.
Grégoire Scalabre est l’un des artistes invités à la Saison d’art 2023 du Domaine de Chaumont-sur-Loire qui, chaque année, célèbre les liens entre nature et art contemporain. À cette occasion, le céramiste nous dévoile la philosophie qui préside à ses œuvres, et rappelle le caractère universel de cet artisanat.
Vous exposez à Chaumont « L’Ultime Métamorphose de Thétis », œuvre primée l’an passé par la Fondation. Pouvez-vous nous la présenter ?
Ce travail est un hommage à Thétis, la nymphe marine de la mythologie. Il prend la forme d’un vase monumental qui se couvre de 70 000 amphores miniatures, faites d’une porcelaine dont les camaïeux de verts (d’Empire, de lagune…) rappellent les éléments - de l’eau à la minéralité. La forme est simple mais l’œuvre très technique puisque le vase a été modélisé en 3D, avec une ossature en acier revêtue de résine et de fibre de verre. Les 70 000 miniatures ont été façonnées, une à une, par une technique de tournage traditionnel, avec un vocabulaire de formes inspirées des vases de l’antiquité. Chaque amphore a été émaillée, celles parées de verts translucides décorées au moyen d’une technique d’émaillage par insufflation, réalisée à la Manufacture nationale de Sèvres. J’ai ensuite réalisé l’assemblage sans schéma déterminé, réunissant les amphores selon leur forme et leur couleur pour qu’elles dialoguent entre elles.
Pour l’exposition, vous avez complété cette œuvre de deux autres travaux. Dans quel esprit les avez-vous pensés ?
Les trois œuvres ont été conçues comme une série. Baptisée L’Onde, la seconde est un panneau de 2m sur 1,60m qui reprend le même principe d’accumulation et le même vocabulaire de formes, avec 12 000 amphores qui déclinent des verts et des jaunes dont la vibration signe l’amorce du printemps. Cygnus, la troisième œuvre présentée, prend la forme d’une immense couronne accrochée sur un mur. Elle réunit 7 000 amphores d’un noir un peu sourd. Avec elle, nous entrons dans l’hiver et l’éclipse. Seul un led offre une lueur qui irise la crête de la couronne, accentuant la profondeur des ombres. Nous sommes dans un temps d’arrêt, la fin d’un cycle.
Quel message portez-vous avec ce travail ?
Le vase est un symbole d’universalité. On le retrouve dans toutes les civilisations car l’humain a besoin de contenant pour entreposer ses ressources vitales : l’eau, l’huile, le vin... Vient ensuite le travail d’accumulation qui permet de passer de la notion de pièce utilitaire à celle de sculpture, d’œuvre à part entière. Ce passage de l’artisanat à l’art tient à cette façon de transcender la technique par l’accumulation des formes, les couleurs et le jeu de l’installation.
Le festival de Chaumont célèbre les liens entre nature et art contemporain. Quels liens s’établissent entre votre œuvre et le Domaine ?
J’ai découvert Chaumont en 2018 et je suis tombé en arrêt devant ce lieu qui constitue, selon moi, la rencontre parfaite entre sculpture et végétation. Chantal Colleu-Dumond, directrice de Chaumont, a découvert Thétis durant l’exposition « Homo Faber » à Venise en 2022. Elle m’a proposé de participer à cette édition et il est vrai qu’il existe un lien évident entre mes œuvres et la volonté du Domaine de mêler art et nature. Le fleuve est exploré avec le récit de Thétis. Avec L’Onde et Cygnus, la céramique sort de l’eau et se mêle à la nature, dans une conversation.
Quel lieu avez-vous choisi pour ces œuvres ?
Elles seront placées dans les écuries royales, Thétis emprisonnée dans un cube de verre qui évoque une relique mais aussi une serre, alimentant le propos autour de la végétation.
Les visiteurs arriveront par un chemin qui dévoilera tout d’abord Thétis, puis L’Onde dans l’encadrement de l’une des portes et, enfin, Cygnus comme une végétation pétrifiée, dans ce faible halo d’une lumière qui s’éteint avant de renaitre.
Le Domaine de Chaumont accueille désormais plus de 500 000 visiteurs chaque année, assurant un rayonnement particulier à votre œuvre. Avez-vous prévu des moments de rencontre avec le public ?
L’exposition va durer 7 mois, permettant de multiples échanges avec le public. Je souhaite, bien sûr, présenter les techniques traditionnelles de la céramique mais montrer aussi que ce matériau est un langage à part entière qui permet de porter un message, de faire œuvre.
Lors de la remise du prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main®, vous aviez énoncé le désir de produire des œuvres pour l’extérieur. Votre présence à Chaumont préfigure-t-elle cette démarche ? Impose-t-elle des avancées techniques ?
Elle permet de travailler les couleurs autrement, de mêler la porcelaine à d’autres matériaux comme le marbre ou le bronze, de créer des pièces qui ne soient pas totalement cuites et donc poreuses, pour que des végétaux comme le lichen ou la mousse puissent y venir en terre d’asile. Amener la céramique à l’extérieur permet d’enrichir son vocabulaire, tester d’autres techniques, aller plus loin dans les formes et les échelles. J’ai déjà conçu un prototype baptisé Acanta, une couronne d’épines posée dans la végétation et entremêlée de ronces. Je vais poursuivre en imaginant des buis de porcelaine, des pièces couvertes de pétales de cerisiers et d’autres encore, toujours en lien avec le cycle des saisons.
Ce travail est pensé dans les parcs et les jardins, imaginez-vous également des installations urbaines ?
Mon désir est de raconter des histoires en utilisant la versatilité de la céramique, sa capacité au mimétisme qui permet de l’exploiter dans des contextes où on ne l’attend pas. Je pense aux parcs, aux forêts mais aussi à la ville, en travaillant à y replacer des éléments symboliques de végétal. Une façon de rappeler la valeur universelle de la céramique -morceau de terre, et donc de nature, travaillé à l’infini par l’humanité.
Chaumont-sur-Loire, sa Saison d’art et son Festival international des jardins
Le Domaine de Chaumont-sur-Loire s’articule autour de trois grandes entités : patrimoniale, artistique et paysagère. L’édition 2023 de son Festival se déploie autour du thème du « Jardin résilient », avec 25 projets qui tentent d’offrir des solutions face au dérèglement climatique et à la dégradation du monde vivant. Le lieu invite également 15 artistes (Lee Ufan, Fabrice Hyber…) dont les œuvres seront disséminées dans le parc, les salles du château et ses dépendances. Enfin, le Domaine offre également la richesse de ses installations pérennes et celle du château, splendide édifice du XVe siècle.
Festival du 25 avril au 5 novembre 2023.