L’association Lazare, une formidable expérience de colocation solidaire Reportage dans la première maison Lazare, au cœur de la ville de Nantes.
L’association Lazare développe depuis 2010 un ambitieux modèle de colocation solidaire, proposant à de jeunes actifs et des étudiants d’emménager avec des personnes vivant dans la rue. Aussi humaniste qu’efficace, cette expérience vient apporter une réponse concrète et originale à l’isolement grandissant qui sévit dans nos sociétés. Largement soutenu par la Fondation Bettencourt Schueller, le projet essaime désormais dans huit villes de France, mais aussi en Belgique et en Espagne.
Elle adore s’installer sur le banc devant la maison, discuter avec les passants et, surtout, accueillir les visiteurs. Tout sourire, elle vous ouvre alors la porte de chez elle avec une immense fierté... Après cinq années de galère et trois mois dans la rue, Freddie, 52 ans, fait partie des 30 colocataires qui vivent dans cette demeure à deux pas de la cathédrale de Nantes, dont l’adresse résume à elle seule le projet qu’elle abrite : 3 rue du Refuge. Cette maison est aujourd’hui l’une des huit en France gérée par l’association Lazare, qui développe un ambitieux projet de colocation solidaire. Le principe ? Proposer à de jeunes actifs et des étudiants d’emménager avec des personnes sans domicile fixe. L’aventure, inédite, a débuté en 2006 explique Loïc Luisetto, délégué général.
La cohabitation est déterminante pour les SDF qui reprennent pied mais aussi pour Etienne et Martin qui ressortent transformés, et portés par deux convictions. On peut accomplir de vrais miracles en offrant un toit et une présence. Le mélange de générations, d’origine, de milieu, de culture se révèle une expérience extraordinaire pour tous, et pas seulement les plus fragiles. Ils créent alors l’Association pour l’Amitié qui accueille aujourd’hui 260 personnes à Paris. Et déclinent le principe, depuis 2010, avec l’association Lazare à Marseille, Toulouse, Valence, Lyon, Lille, Nantes, Angers, Vaumoise (dans l’Oise), Bruxelles et Madrid.
Pas d’alcool, pas de drogue…
Des règles précises et incontournables. Première à être inaugurée, la maison nantaise réunit trois appartements de huit personnes (deux pour les hommes et un pour les femmes) avec des chambres individuelles, une salle à manger, une cuisine et une salle de bain à partager. Le lieu abrite également sept « studios d’Envol » (pour une adaptation à une vie plus autonome) et l’appartement de la « famille responsable », chargée de veiller au bon fonctionnement des lieux. « Les colocataires restent à Lazare le temps qu’ils souhaitent, la moyenne étant de deux ans, précise Loïc Luisetto. Ils bénéficient du RSA qui leur permet de s’acquitter d’un loyer de 300 euros par mois et de 70 euros pour les repas organisés dans la salle commune, hélas suspendus durant cette période de Covid. Ces revenus couvrent les charges de la maison et 60% des frais de l’association. Le reste est financé grâce à différents soutiens, notamment celui de la Fondation Bettencourt Schueller. »
Les colocataires doivent obéir à des consignes précises : pas d’alcool, pas de drogue, pas de petits amis. La télévision est prohibée pour inciter à la conversation, tout comme les lave-vaisselles car il n’y a rien de mieux que laver les assiettes pour se retrouver et partager. Indispensables et structurantes, ces règles sont parfois vécues avec difficulté. Martial, 36 ans, l’un des premiers colocataires à rejoindre Lazare, n’a pas réussi à cesser de boire. Imprévisible, parfois violent, il a frôlé l’expulsion avant d’accepter de se faire aider. « L’addiction à l’alcool est un problème que nous rencontrons souvent, explique Loïc. Nous essayons de le résoudre avec des patients experts qui ont eux-mêmes vécu cela, s’en sont sortis et incitent les colocataires à entamer une prise en charge. »
La vie en commun, pour se reconstruire
Pour les autres, les règles sont peu à peu intégrées. « Au début, je n’avais qu’une envie, me rebeller » se souvient Freddie, arrivée ici en 2015. « Je ne suis restée que quelques semaines sans domicile mais c’est fou comme la rue vous abîme. J’étais devenue solitaire, méfiante, agressive. A Lazare, je me suis apaisée et j’ai retrouvé le goût de vivre, grâce aux autres. » Assise à la table de la salle commune, Freddie est vite rejointe par d’autres colocataires. Tous l’écoutent avant de se lancer à leur tour. Au début, les paroles sont timides mais on devine, derrière la pudeur des mots, le passé qui affleure – la violence, la dépression, la maltraitance parfois. Jade, 25 ans, qui a récemment rejoint l’appartement des femmes, se souvient aussi de la rue ; de la peur et du repli.
Le retour de la confiance, de l’estime de soi autorisent à nouveau les projets. Fred, 53 ans et arrivé à Lazare en 2019, a choisi de rejoindre l’un des studios pour avancer. « J’ai recommencé à penser sans angoisse à l’avenir. Du coup, j’ai pas mal cherché et je viens de retrouver un job de magasinier dans une boutique de décoration. »
Une jeune génération qui infuse énergie et modernité.
La réinsertion à tout prix n’est pas l’objectif prioritaire de Lazare.
Des travailleurs sociaux accompagnent les colocataires dans leurs projets mais ces résultats tiennent aussi aux jeunes salariés et étudiants qui offrent, par leur seule présence, une formidable ouverture sur le monde. Eleonore, 23 ans, sage-femme, a rejoint le petit groupe pour un café et se raconte à son tour. « J’ai emménagé l’année dernière dans un studio mais très vite, je me suis sentie seule. J’avais entendu parler de Lazare, j’ai eu envie de tenter l’aventure. Ce que j’ai surtout appris ici, c’est la simplicité des relations. L’ambiance est joyeuse et chacun se sent libre. On se parle mais on respecte les silences. On se donne des coups de main mais on ne s’oblige à rien. »
Preuve des bénéfices qu’ils en tirent, les jeunes ont tous choisi de demeurer à Lazare durant les deux confinements. « Les colocataires sont restés dans leurs appartements et ceux des studios se retrouvaient le soir dans les espaces communs, précise Loïc Luisetto. Nous avons eu très peur mais tout s’est bien passé, grâce sans doute à nos règles de vie qui ont constitué un cadre structurant et rassurant. Les colocataires ont ressenti à quel point ils étaient privilégiés, imaginant mieux que quiconque la détresse de ceux qui vivent cette période dans la rue. Ils ont préparé repas et cafés aux gens du quartier les plus démunis. Tout cela a resserré les liens, démontrant encore la force du vivre ensemble. »
Un compagnonnage auquel cette jeune génération continue d’infuser énergie et modernité. Jacques, tout jeune ingénieur, remet en forme le CV de Patrick, 49 ans, qui a passé son CAP de pâtissier en candidat libre et rêve de trouver un job. Et puis, il y a Alienor qui a fait partie des jeunes actifs avant de prendre en 2019 le poste de chargée de communication de Lazare. Elle s’emploie à faire connaitre l’expérience et sollicite les colocataires pour des interviews ou le temps d’une vidéo. Son prochain projet ? La réalisation d’une conférence Tedx à laquelle Fred doit participer. « Je n’arrête pas d’y penser, confie-t-il. J’avoue que ça me fait peur, mais j’en ai tellement envie ! »
La Fondation Bettencourt Schueller et Lazare
La Fondation Bettencourt Schueller croit en ce type d’habitats partagés, solidaires et intergénérationnels pour répondre de façon pérenne à la solitude et la précarité des personnes de la rue. Après un premier soutien en 2014 pour financer l’aménagement d’une des premières maisons à Nantes, la Fondation est à nouveau aux côtés de l’Association Lazare pour accompagner sa croissance.
Site de l'association Lazare