Myopathie de Duchenne, l'espoir d'une thérapie
Alors que cette maladie génétique reste sans traitement, une étude publiée en juillet dernier dans la prestigieuse revue Nature présente une toute nouvelle approche pour réparer les muscles malades. Le point sur cette avancée majeure avec le chercheur Hichem Tasfaout, chercheur en neurologie à l’Université de Washington, co-auteur de cet article et lauréat du prix Bettencourt pour les jeunes chercheurs en 2018.
Pouvez-vous tout d’abord nous en dire plus sur la myopathie de Duchenne ? Ses symptômes, les populations touchées ?
Hichem Tasfaout. Il s’agit d’une maladie génétique dont les premiers symptômes apparaissent à l’âge de 5 ou 6 ans, provoquant une dégénérescence progressive de tous les muscles, y compris le cœur. Aucun traitement ne permet aujourd’hui de guérir la maladie. En revanche, certains médicaments utilisés pour bloquer l'inflammation générée par la dégénérescence musculaire ou soutenir les fonctions cardiaques et respiratoires réussissent à allonger la durée de vie, passée de 20 ans dans les années 2000 à plus de 30 aujourd’hui.
Quelle est l’origine de cette pathologie, et touche-t-elle exclusivement les garçons ?
HT. En effet, seuls les garçons sont affectés. La maladie de Duchenne est due à une anomalie présente sur le gène DMD situé sur le chromosome X. Les filles ont deux chromosomes X. Si le premier est touché par cette anomalie, elles sont protégées de la maladie par l’autre. Ceci ne se produit pas chez les garçons, qui n’ont qu’un seul chromosome X. Le gène DMD est chargé de la production d’une protéine appelée dystrophine, essentielle pour le bon fonctionnement des muscles car elle les protège durant les chocs mécaniques générés par les contractions musculaires. Dans le cas de la maladie, cette protéine n’est plus produite. Les muscles s’altèrent à chaque contraction, et finissent par être détruits.
Plusieurs équipes de scientifiques travaillent aujourd’hui sur le sujet. Pouvez-vous nous présenter les grands axes de recherche ?
HT. On compte aujourd’hui plusieurs approches face à la maladie. La plus prometteuse est une thérapie génique qui consiste à injecter dans l’organisme la bonne version du gène DMD pour permettre à nouveau la production de dystrophine. Concrètement, le gène médicament doit pour cela être enveloppé dans un virus rendu inoffensif avant d’être injecté. Cette étape est indispensable car le gène serait détruit avant d’arriver à sa cible s’il ne disposait pas de ce système protecteur. Cependant, le gène de la dystrophine est l’un des plus longs gènes humains connus, à tel point qu’il n’entre dans aucune enveloppe virale. Jusqu’à présent, les chercheurs ont tenté de contourner ce problème en mettant au point une version plus courte du gène, permettant à l’organisme de produire une micro-dystrophine. Mais des études cliniques sur des patients atteints par la maladie ont montré que cette protéine tronquée était privée de parties essentielles pour assurer son bon fonctionnement.
C’est là qu’interviennent les travaux de votre équipe ?
HT. Face à cette limite, nous avons suivi une piste qui consiste à faire fabriquer, par l’organisme lui-même, l’intégralité de la protéine. Pour cela, nous avons nous aussi découpé la protéine en deux ou trois morceaux, que nous avons envoyés ensuite dans les cellules musculaires grâce à des virus rendus inoffensifs. Mais nous avons ensuite travaillé à les remettre bout à bout pour obtenir une protéine fonctionnelle, étape qui n’avait jamais été franchie jusqu’ici. Pour y parvenir, nous avons eu recours à l’utilisation d’intéines, un système qui existe dans des micro-organismes et sert à couper puis souder les protéines. Cette technique appelée trans-épissage (une sorte de jeu de lego des protéines) nous a permis de fusionner les différents morceaux de la dystrophine de manière très précise, permettant ainsi la production de cette protéine manquante dans les cellules musculaires.
Cette approche a-t-elle déjà été testée ?
HT. Nous avons procédé à des tests sur des souris qui présentaient les mêmes anomalies que les patients au niveau du gène de la dystrophine et avaient développé les symptômes caractéristiques de la maladie de Duchenne. Nos résultats sont au-delà de ceux observés avec d’autres méthodes de thérapie génique : tous les examens pratiqués sur ces souris étaient normaux. La technique que nous avons mise au point permet à la fois d’obtenir une protection plus importante des muscles malades et une restauration de la force musculaire identiques à celles de muscles sains, y compris le muscle cardiaque.
Pourra-t-on utiliser bientôt cette thérapie pour les patients atteints de la maladie ?
HT. Nous allons poursuivre ces études sur d’autres modèles animaux, ce qui demande deux ou trois années de travail. L’étape suivante sera de valider notre approche sur les cellules humaines, en s’assurant à la fois de son efficacité et d’une absence de toxicité, avant de procéder aux premiers essais cliniques chez l’être humain. Ces tests nécessitent l’intervention d’autres chercheurs en pharmacologie ou toxicologie et de cliniciens avec lesquels nous allons collaborer étroitement, tout au long de ce parcours.
Depuis combien de temps travaillez-vous sur le sujet ?
HT. J’ai intégré en 2018 cette équipe dirigée par Jeffrey Chamberlain, grand spécialiste de cette forme de myopathie, et j’ai tout de suite travaillé sur le sujet mais les recherches autour de la maladie ont débuté il y a plus de 40 ans. Le séquençage du gène de la dystrophine a été réalisé en 1989. En 2000, notre laboratoire a développé la première version raccourcie du gène DMD, pour permettre à l’organisme de produire de la micro-dystrophine. Avec notre approche, nous franchissons une nouvelle étape.
Votre équipe a produit une avancée majeure, saluée par la parution de cet article dans Nature dont vous êtes le co-auteur. Peut-elle être exploitée pour d’autres pathologies ?
HT. Cette technique peut être utilisée dans le cadre de toutes les maladies génétiques impliquant de longs gènes, qui nécessitent d’être fragmentés puis ressoudés une fois dans la cellule. Je pense à d’autres types de myopathies et également à certaines maladies rares de la rétine. Une équipe de recherche travaille d’ailleurs en Italie sur ce sujet.
Vous avez été lauréat du prix Bettencourt pour les jeunes chercheurs en 2018. Qu'est-ce que vous a apporté cette récompense ?
HT. Elle a constitué un événement majeur dans ma carrière de chercheur. D’abord la source d’une grande fierté mais elle m’a aussi offert une sécurité financière sans laquelle je n’aurais pas fait la même recherche. Je suis arrivé en séjour postdoctoral aux Etats-Unis en janvier 2018 et ces emménagements entrainent toujours des surcoûts difficiles à financer. Grâce à la dotation de la Fondation, j’ai pu me concentrer sur la science et pas sur autre chose. Par ailleurs, ce Prix constitue aussi un véritable atout dans le déroulé d’une carrière, une reconnaissance très précieuse pour l’obtention d’un poste ou d’un financement. Enfin, je vis aujourd’hui aux Etats-Unis mais j’échange très régulièrement avec d’autres lauréats et les équipes de la Fondation. Ce Prix est aussi un élément très fédérateur dans la communauté des sciences ; une dimension humaine, très importante, qui doit également être saluée.
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Hichem Tasfaout
Le Prix Bettencourt pour les jeunes chercheurs 2018 récompense Hichem Tasfaout, post-doctorant, pour ses recherches sur les dystrophies musculaires.