« La composante génétique joue un rôle majeur dans l’autisme » Entretien avec le Professeur Thomas Bourgeron, porteur de la Chaire de Biologie intégrée de l'autisme à l'Institut Pasteur
En 2010, le Professeur Thomas Bourgeron a été le premier chercheur à identifier les gènes associés au syndrome d’Asperger, participant à transformer en profondeur le regard sur l’autisme. À l’heure où il publie Des gènes, des synapses, des autismes, le généticien nous présente les diverses avancées dans la compréhension et le traitement de ce trouble…
Vous débutez votre ouvrage en présentant les multiples facettes de l’autisme, qui ont longtemps rendu difficile son diagnostic. Les symptômes sont-ils identifiés aujourd’hui ?
Nous avons désormais une connaissance assez fine du spectre de l’autisme qui s’articule autour de trois grands symptômes : des difficultés de communication sociale, la présence de stéréotypies (une tendance à reproduire les mêmes gestes, paroles, attitudes) et des intérêts restreints. Ces troubles apparaissent très tôt chez les enfants - le plus souvent avant trois ans - même si le diagnostic se fait parfois plus tardivement lorsque les personnes autistes développent un langage oral. Selon cette définition, entre 1% et 2% de la population, soit 650 000 personnes en France, pourraient être concernées. On observe un risque plus élevé chez les garçons, avec 3 cas sur 4. À noter enfin, ces symptômes sont rarement isolés. Environ un tiers des personnes autistes présente une déficience intellectuelle avec un QI inférieur à 70, 15 à 25 % ont des crises d’épilepsie, et plus de 65 % présentent des troubles sensorimoteurs (par exemple une hypersensibilité aux sons).
Vous consacrez ensuite une grande partie de ce livre à l’origine génétique de l’autisme Quand a-t-elle été découverte ?
Les premières études, menées dans les années 1970, se basaient sur la concordance des jumeaux monozygotes (« vrais » jumeaux, qui possèdent une information génétique identique) et dizygotes (« faux » jumeaux, issus d’ovules différents). Elles montraient que, plus on partage de variations génétiques avec une personne autiste, plus on a soi-même une probabilité importante d’être autiste. D’autres recherches ont, ensuite, montré une récurrence d’autisme au sein des familles ayant déjà un enfant autiste (20 à 40 fois plus de probabilités que dans la population générale). Mais c’est seulement dans les années 2000 que les premiers gènes ont été identifiés.
Vous avez été le premier à mettre en lumière les mutations de gènes expliquant l’autisme, notamment le syndrome d’Asperger. Pouvez-vous nous présenter ces travaux ?
Nous avons, à l’époque, émis l’hypothèse que des gènes sur le chromosome X pouvaient être associés à ce trouble, en raison de la plus grande proportion d’hommes autistes. En étudiant deux gènes codant des protéines exprimées dans les neurones, nous avons identifié des variations génétiques chez des personnes autistes sans déficience intellectuelle (syndrome d’Asperger). Ces protéines - les neuroligines 3 et 4X (gènes NLGN3 et NLGN4X) - jouent un rôle spécifique dans le cerveau : elles produisent des synapses qui assurent la transmission de l’influx nerveux entre les neurones. Nous avons également identifié d’autres variations génétiques dans des gènes comme SHANK3 chez des personnes présentant une forme d’autisme, avec ou sans déficience intellectuelle.
Cette composante génétique est-elle la seule dans l’apparition du trouble ?
On estime que la contribution génétique est très importante, avec une héritabilité de plus de 80 %. Cependant, l’architecture génétique peut se révéler différente d’une personne à une autre. Dans certains cas, la présence d’une seule variation génétique explique l’apparition de l’autisme (on parle alors d’autisme monogénique). Dans d’autres, c’est la contribution de plusieurs dizaines de milliers de variations qui participe à l’apparition des troubles (autisme polygénique). Pour les cas d’autisme monogénique, plus de 200 gènes ont déjà été identifiés, la plupart entrainant une déficience intellectuelle. Pour les formes polygéniques, les recherches avancent. On réussit aujourd’hui à calculer un score polygénique pertinent au niveau de la population mais celui-ci ne permet pas encore d’estimer, au niveau individuel et de manière fiable, la probabilité de développer un syndrome autistique.
D’autres facteurs doivent-ils être pris en compte ?
Le rôle des gènes est essentiel mais il varie selon les personnes et l’environnement dans lequel elles évoluent peut moduler la sévérité des troubles. Voilà pourquoi il est important qu’elles bénéficient d’un parcours de soin approprié. Les autistes présentant une déficience intellectuelle et des risques d’épilepsie doivent notamment être suivis selon un protocole médical très précis. Pour la majorité d’entre eux, les troubles sensorimoteurs doivent aussi être accompagnés médicalement. Par ailleurs, il est indispensable d’offrir aux enfants un parcours éducatif approprié, qui peut se prolonger pour les adultes.
L’identification de l’origine génétique de l’autisme a aussi participé à transformer le regard de la société sur ce trouble...
Beaucoup de familles ont été culpabilisées ; en particulier les mères considérées, à tort, comme froides et rejetant leur enfant. Il est essentiel que la société tout entière s’attache à faire disparaître cette stigmatisation de l’autisme et, en général, de tous les handicaps. Qu’ils soient visibles ou invisibles.
Ces découvertes ont-elles fait évoluer les traitements ?
Les tests génétiques entrainent de nombreux effets positifs. Ils participent à la déculpabilisation des parents ; ils réduisent également l’Odyssée diagnostique car on identifie plus rapidement l’origine des troubles. Dans certains cas, la découverte du/des gènes en cause peut aboutir à des accompagnements spécifiques. Dans le cas de certaines maladies métaboliques conduisant à des troubles autistiques, comme le déficit en créatine, il existe des traitements qui peuvent améliorer la qualité de vie des personnes.
Par ailleurs, les familles concernées peuvent se regrouper au sein d’associations pour partager leurs expériences. Nous travaillons activement avec elles afin d’identifier les accompagnements qui semblent améliorer l’état des enfants. Enfin, la découverte des gènes autorise le développement d’essais cliniques ciblés sur une population de personnes autistes. C’est ce que l’hôpital Robert Debré est en train de réaliser avec des patients présentant une mutation du gène SHANK3. Le service du Professeur Richard Delorme a ainsi lancé, avec Anna Maruani et Anne Claude Tabet, un essai pour tester l’efficacité du lithium afin de réduire la sévérité des troubles chez les enfants.
Quelles sont les autres pistes de recherche ?
Elles s’articulent autour de trois étapes : Identifier. Comprendre. Intervenir.
Concernant l’identification, les recherches actuelles permettent quasiment chaque mois d’identifier un nouveau gène associé aux troubles du neuro-développement et à l’autisme. Ces découvertes sont le fruit de l’établissement de grandes cohortes (la cohorte SPARK regroupe par exemple plus de 30 000 personnes), principalement aux États-Unis. Côté compréhension, on connait de mieux en mieux le rôle joué par les gènes associés à l’autisme. Ils convergent vers l’établissement de la connectivité des circuits de neurones dans le cerveau. Ceci a été démontré par l’analyse de modèles animaux et l’imagerie cérébrale chez l’Homme. En revanche, les régions cérébrales et les circuits neuronaux spécifiques de l’autisme (s’ils existent) ne sont pas encore bien identifiés. Comme dans le cadre de la génétique et de la clinique, nous allons sans doute découvrir une certaine hétérogénéité des régions cérébrales associées à l’autisme. Notre groupe travaille sur plusieurs pistes, celle de la relation entre architecture génétique et connectivité du cerveau humain ou celle du striatum et du cervelet, dans le cas des mutations des gènes SHANK2 et SHANK3.
Vous êtes à la tête de la chaire fondamentale de biologie intégrée de l’autisme à l’Institut Pasteur, créée en 2012 avec le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller. Quels liens entretenez-vous avec la Fondation ?
Sans l’aide des fondations, je n’aurais jamais pu effectuer ces travaux, une aventure débutée au XXe siècle ! La fondation Orange a financé nos recherches, puis les fondations Simons, Conny-Maeva, Cognacq-Jay... Le rôle de la Fondation Bettencourt Schueller a été essentiel, permettant la création de cette chaire qui assoit notre légitimité dans un univers de recherche très compliqué. En effet, il reste encore beaucoup d’a priori autour de la recherche en génétique, et plus encore lorsqu’on travaille sur l’autisme. Sans le financement de postes d’ingénieurs et de post-doctorants dédiés au long travail de séquençage des génomes, rien n’aurait été possible. De plus, la Fondation Bettencourt Schueller dispose d’un important réseau de chercheurs avec lesquels nous collaborons. La recherche sur l’autisme est résolument transdisciplinaire et c’est ce que nous développons aussi en Europe avec les projets AIMS2-Trails, Candy et R2D2-MH.
Votre ouvrage offre une approche scientifique de l’autisme mais également un aspect plus social et humain, prenant en compte l’accompagnement des patients et de leurs proches. Quel message souhaitez-vous porter avec ce livre ?
La génétique est la science de la diversité. Je dis souvent que « trouver des gènes » répond avant tout à un objectif : « trouver le meilleur environnement ». Notre société serait vraiment triste si nous étions tous des clones, équipés du même génome ! Cependant, nous devons prendre en compte cette diversité. Si nous rencontrons des difficultés liées à notre bagage génétique, il faut que notre environnement s’adapte à ces variations. Cela passe par la prise de conscience de chacun et j’espère que cet ouvrage y participe modestement. L’objectif ? Développer de nouveaux parcours, innovants et personnalisés, médicaux et éducatifs, pour offrir à tous les clés d’une plus grande autonomie, et d’un réel épanouissement.