Entretien avec le Docteur Gaël Chetelat Mieux connaître la maladie d’Alzheimer, pour freiner son évolution.
Directrice de recherche à l’Inserm, à la tête de l’équipe Neuropresage « Neuro-imagerie multimodale et mode de vie dans le vieillissement et la maladie d'Alzheimer » au Centre Cyceron à l’Université de Caen, le Docteur Gaël Chetelat poursuit un ambitieux projet visant à décrire plus précisément la progression de la maladie, grâce à de nouveaux outils de neuro-imagerie. Le point sur les enjeux de ces recherches, désormais soutenues par la Fondation Bettencourt Schueller.
Les recherches de votre laboratoire portent sur la maladie d’Alzheimer. Pouvez-vous tout d’abord nous définir plus précisément cette pathologie ?
Cette définition fait, aujourd’hui, l’objet de nombreuses discussions. Nous sommes passés d’un diagnostic clinique – établi dans les années 1980 sur des critères liés à la dégradation des capacités cognitives – à une approche plus biologique. Désormais, nous savons que la maladie se caractérise par la présence, dans le cerveau, de protéines pathologiques béta-amyloïdes et tau. L’accumulation anormale de protéines béta-amyloïdes peut apparaître 10 à 15 ans avant les premiers symptômes mais les personnes présentant ces lésions ne développeront pas toutes la maladie. Leur présence dans le cerveau était déjà connue mais pouvait être repérée seulement par un examen post-mortem permettant de confirmer le diagnostic. Nous ne disposions pas, jusqu’à récemment, d’outils pour la repérer in vivo. C’est désormais possible et le diagnostic biologique de la maladie repose sur leur observation.
Pourquoi cette définition fait-elle l’objet de discussions ?
Il existe un décalage entre la définition biologique utilisée par le chercheur et celle du patient, pour lequel la maladie ne rime pas avec ces protéines mais avec un déclin cognitif, une perte d’autonomie... On parle de la même chose mais sous un autre angle. L’examen d’imagerie médicale peut révéler la présence de protéines pathologiques sans que le patient ne présente de déficits cognitifs ni même qu’il ne développe de symptômes dans un avenir proche. Or, il pourrait tout de même être diagnostiqué, sur la base de la présence d’une ou plusieurs de ces protéines. Il existe aujourd’hui un vrai écart entre cette définition biologique et la signification de « maladie d’Alzheimer » pour la société.
Lorsque ces protéines sont identifiées, quelle est la probabilité de développer la maladie ?
Certains scientifiques considèrent que les individus présentant une accumulation anormale de protéine béta-amyloïde dans leur cerveau sont déjà sur la voie de la maladie, même s’ils ne développent pas de déficit cognitif pendant 10 ou 20 ans. Pour la protéine tau, les choses sont différentes. Elles dépendent de la quantité de ces protéines et leur étendue mais leur présence est plus rapidement associée à des déficits cognitifs. Et si on observe la présence de protéines amyloïdes et tau en quantités importantes, il faut s’attendre à développer rapidement des déficits si ceux-ci ne sont pas déjà présents.
Vous menez un projet visant à mieux décrire la progression de la maladie à l’aide d’outils de neuro-imagerie, au Centre Cyceron de Caen. Pouvez-vous nous présenter les grandes lignes de cette recherche ?
Il y a une quinzaine d’années, il a été montré que la propagation de ces protéines pathologiques dépendait de la connectivité du cerveau. Ainsi, en étudiant cette connectivité grâce à de nouvelles techniques d’imagerie, il est possible de prédire cette propagation et les facteurs qui vont influencer sa vitesse, sa localisation, son étendue... Ces connaissances sont cruciales. En identifiant les éléments qui influencent la propagation de ces protéines, on comprendra par quels mécanismes elles se propagent et comment arrêter cette progression. Dans le cadre de ce projet, nous allons définir les règles de propagation de ces protéines en prenant en compte tous les éléments susceptibles de l’influencer afin de prédire avec précision – et à l’échelle individuelle – le profil d’atteinte cérébrale des patients dans le futur.
Votre étude intègre aussi d’autres éléments…
Une fois ces premiers résultats obtenus, la recherche se poursuivra avec l’analyse de facteurs qui vont modifier ces règles de propagation : le sexe, l’âge à l’apparition des premiers symptômes... On obtient ainsi une formule exprimant ces règles par catégorie d’individus. Lorsqu’un patient se présentera, on pourra prendre en compte son profil actuel mais aussi les paramètres qui le caractérisent pour effectuer une prédiction personnalisée, à court et moyen terme.
Vous nous avez présenté un ensemble de facteurs qui participent à la survenue de la maladie. Peut-on revenir sur le rôle précis de chacun, l’âge notamment ?
On observe surtout l’âge de début des symptômes, sachant que les malades qui en présentent à un âge précoce n’auront pas le même développement, les mêmes symptômes et la même localisation des lésions, par rapport aux malades qui développeront plus tard la maladie. Il y a plusieurs explications à cela. Lorsqu’on est à un âge plus avancé, on présente plus souvent des facteurs de comorbidité comme l’hypertension artérielle et la dépression, qui vont modifier l’expression de la maladie. Ce n’est plus une maladie d’Alzheimer pure. Par ailleurs, la plasticité cérébrale et les capacités à compenser les symptômes déclinent avec l’âge.
Une apparition précoce de la maladie est-elle un signe de gravité ?
Entre 55 et 65 ans, les patients développent des symptômes moins rapidement car leur cerveau est encore plastique et sera capable de les compenser. Dans un premier temps, la maladie peut rester silencieuse, alors que les lésions progressent dans le cerveau. Mais si les patients résistent plus longtemps, le déclin peut ensuite être plus rapide car ils se trouvent à un stade plus évolué de la maladie lorsqu’elle se manifeste. Ceci est vrai pour tous les patients. Plus on avance dans la maladie, plus la progression est rapide. Précision importante, on ne parle pas ici de la forme génétique de la maladie qui se manifeste dès 30-40 ans et qui ne concerne que 1 % des cas.
Quelle est la part du genre ?
La prévalence est plus importante chez les femmes, ce qui s’explique en partie par leur durée de vie, plus longue. D’autres explications sont également mises en avant : hormonales ou en termes de mode de vie. Les mécanismes de la maladie pourraient aussi être différents. Ce facteur sera donc pris en compte dans notre modèle de prédiction personnalisé.
Et celle des facteurs environnementaux ?
Ils sont importants car ils modulent l’évolution de la maladie mais aussi les risques de la développer. Certains jouent un rôle protecteur – l’activité cognitive, le niveau d’éducation, l’activité physique ou un bon régime alimentaire, de type méditerranéen. On l’a constaté, l’alimentation grasse, sucrée, associée à un risque cardio vasculaire, augmente le risque. Il existe un fort lien entre facteurs de risque cardiovasculaire et maladie d’Alzheimer. En réduisant les premiers, on réduit les risques du second. Par ailleurs, on observe aussi l’influence négative de facteurs psycho-affectifs : la dépression mais aussi l’anxiété, le stress, l’isolement social, le sentiment de solitude et d’abandon.
Gaël Chetelat
Quel rôle pourront jouer vos résultats dans la connaissance de la maladie ?
A l’échelle individuelle, nos recherches apporteront aux médecins des informations sur l’évolution du cerveau du patient, dans 2 ou 5 ans. Cette information est cruciale pour le discours que ceux-ci vont tenir au patient. Ce qui compte pour ce dernier n’est pas seulement le diagnostic mais aussi la façon dont la maladie va évoluer, pour lui permettre d’être actif dans la préparation de son avenir : arrêter ou non de travailler, penser une prise en charge… Ce projet va également apporter des connaissances fondamentales. En nous renseignant sur le développement spécifique de cette pathologie, elles apportent aussi des informations permettant de freiner son évolution. L’objectif sera alors de penser des médicaments qui empêchent la propagation en ciblant le facteur le plus en jeu dans le mécanisme. Aujourd’hui, ces médicaments n’existent pas.
Une meilleure compréhension de la maladie permet-elle aussi d’améliorer l’efficacité de la prévention ?
La prévention constitue une partie importante de nos recherches, dirigées par Julie Gonneaud dans notre laboratoire. Nous travaillons sur les facteurs de mode de vie qui vont influencer le développement de la maladie, et la façon dont on peut les modifier chez des personnes âgées, présentant des facteurs de risque ou des premiers symptômes. Nous avons, par exemple, mené un projet européen sur la méditation (Medit Ageing), en vue de cibler des facteurs de risque tels que l’anxiété, le stress, les problèmes de sommeil.
Quels sont les résultats de cette étude ?
Entre 2016 et 2022 j’ai coordonné avec mon équipe cet important projet européen mené avec 12 partenaires dans 6 pays et comprenant 2 essais thérapeutiques, visant à évaluer l’impact d’une pratique de méditation sur différents paramètres, associés à un risque de développer la maladie. Nous avons montré que 18 mois de pratique ne suffisent pas à modifier la structure cérébrale. En revanche, nous avons observé un impact positif sur des mesures comportementales : la régulation attentionnelle et émotionnelle, dont on sait l’importance dans le cadre du vieillissement et du bien-être. La méditation est une piste prometteuse, non pour arrêter la propagation des lésions mais à titre de prévention ; pour améliorer la santé mentale et le bien-être des personnes qui prennent de l’âge. Nous avons notamment observé que la pratique de la méditation permettait de diminuer l’anxiété, et ceci en 2 mois seulement.
Revenons maintenant au projet accompagné par la Fondation. Quelle impulsion va permettre ce soutien ?
Grâce à ce financement de la Fondation, nous allons réaliser un projet particulièrement ambitieux, qui rendra possible non seulement de prendre en compte tous les mécanismes cérébraux pertinents, grâce à la neuro-imagerie, mais aussi de réaliser un suivi sur le long terme. Ces deux éléments feront la différence pour obtenir une prédiction précise de la progression de la maladie. Réaliser de tels projets nécessite du temps, et des personnes qualifiées pour créer des modèles mathématiques complexes. Ce soutien nous offre l’assurance de pouvoir travailler dans la durée pour apporter une réponse aussi complète que possible en prenant en compte la complexité du cerveau, et de la maladie d’Alzheimer qui touche près de 900 000 personnes en France.