Edvard et May-Britt Moser, lauréats du prix Nobel de physiologie ou médecine 2014
Trois questions à Edvard Moser, lauréat, avec son épouse May-Britt, du prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant 2006. Interview exclusive.
Edvard et May-Britt Moser se marient alors qu’ils sont encore étudiants à l’Université d’Oslo. Devenus professeurs à l’Université norvégienne de science et de technologie de Trondheim, ils étudient le cortex entorhinal, une région du cerveau impliquée dans les mécanismes de l’olfaction et de la mémoire. Ils découvrent dans cette région du cerveau un nouveau type de neurones : les cellules de grille. Ces cellules forment des réseaux en hexagone qui créent des cartes internes de l’environnement.
Ils ont pu démontrer que ces cartes ont des propriétés permettant aux rats de se repérer dans l’espace. Pour la découverte des cellules de grille, ils ont reçu dès 2006 le prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant. La poursuite de leurs travaux a révélé l’importance du cortex entorhinal comme véritable centre computationnel de représentation dans l’espace. Leurs découvertes leur ont valu au mois d’octobre 2014 de recevoir la récompense suprême, le prestigieux prix Nobel de physiologie ou médecine.
Que nous apprennent les cellules de grille sur le fonctionnement de l’esprit humain ?
Grâce à la découverte des cellules de grille, nous comprenons aujourd’hui comment les cellules coopèrent dans le cerveau. Il est assez fréquent que le cerveau réutilise le même processus dans différentes zones. Nous supposons en effet que certains des principes utilisés par les cellules de grille existent dans d’autres régions du cerveau. Nous ne pouvons pas exclure de trouver des organisations en hexagone en dehors du cortex entorhinal. Les neurones sont en fait en compétition pour l’activation. La forme hexagonale crée quant à elle un espace d’équilibre. Mais il va être très difficile de déterminer si d’autres systèmes neuronaux, dont la fonction ne concerne pas la localisation, utilisent des motifs similaires d’activation en hexagone. Nous ne sommes de toutes façons pas capables, du moins pour l’instant, de le mesurer.
Lorsque nous avons découvert qu’il existait des cellules dédiées à la localisation dans l’espace dans le cortex entorhinal, nous avons très vite remarqué que leur activation était organisée en grilles régulières. Mais pour comprendre qu’il s’agissait d’hexagones, il nous a fallu faire marcher les rats dans des boîtes de surface très étendue. L’organisation en hexagone nous est apparue clairement en 2005.
Quels nouveaux horizons explorez-vous à présent ?
Les cellules de grille ne sont pas les seuls neurones dédiés à la localisation spatiale dans le cerveau. Nous ne savons pas comment les inactiver spécifiquement mais il a été démontré que l’inactivation de la région dans laquelle elles se trouvent fait perdre le sens de l’orientation aux animaux. Il y a en fait au moins deux autres types de cellules de localisation dans le cortex entorhinal : les cellules de frontière (border cells), que nous avons caractérisées en 2008, et les cellules directionnelles. A l’avenir, nous aimerions comprendre comment ces différents types de neurones coopèrent pour nous informer sur l’endroit où nous nous trouvons.
Les cellules de grille mesurent les directions et les distances. Nous cherchons à savoir comment les informations qu’elles génèrent sont utilisées et analysées par les autres types de cellules. On compare parfois les cellules de grille à un GPS, qui connaît la position de la voiture seulement grâce à la mesure des distances parcourues et sans se référer à des points de repère extérieurs. Les cellules de grille font partie du système utilisé par le cerveau pour se repérer dans l’espace. Ce système s’appuie sur des cartes internes et sur le feedback du mouvement musculaire.
Comment la Fondation Bettencourt Schueller vous a-t-elle aidés dans la réalisation des recherches de votre équipe ces huit dernières années ?
Le prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant, que nous avons reçu en 2006, a largement contribué au développement des recherches. Nous avons utilisé la totalité de la dotation pour poursuivre notre investigation et comprendre le fonctionnement des cellules de grille. Les résultats de ces recherches ont représenté une grande partie de ce qui nous a permis d’obtenir le prix Nobel.
Grâce à la Fondation Bettencourt Schueller, notre laboratoire a bénéficié d’une reconnaissance et d’un véritable coup de turbo. Nous gardons aussi un excellent souvenir de la cérémonie de remise de prix, qui s’est déroulée dans la maison de Madame Bettencourt même si ni May-Britt ni moi ne parlons vraiment le français.
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