Dans les coulisses du programme « Réechantez la Villa Médicis » de l'Académie de France à Rome Réaménagement de neuf chambres d’hôtes dans l’édifice historique, création d’une résidence dédiée aux artisans d’art, développement d’un programme pédagogique avec des élèves français de filières professionnelles…
Directeur de la villa Médicis depuis mars 2020, Sam Stourdzé lance cet automne un ensemble de projets qui visent à faire rayonner la création contemporaine dans le domaine des métiers d’art, le tout avec le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller. Avec Sam Stourdzé, le point sur le nouveau regard porté par la villa Médicis sur les métiers d’art.
Vous avez lancé en septembre dernier le programme baptisé « Réechanter la Villa Médicis ». Quelles en sont les grandes lignes ?
Sam Stourdzé : Il s’agit d’un vaste programme de réaménagement de la Villa, qui a régulièrement fait l’objet de ce type de projets au cours de son histoire, avec des directeurs comme Balthus de 1961 à 1977, ou encore Richard Peduzzi dans les années 2000. Aujourd’hui, la mission s’articule autour de trois grands espaces : les six salons du rez-de jardin, sous la houlette de créateurs venus du monde de la mode ; les cinq chambres historiques du premier étage - dont les fameuses chambres du cardinal - avec une décoratrice qui les dévoilera en avril prochain. Et enfin, le réaménagement de neuf chambres d’hôtes, avec un appel à projet lancé en partenariat avec la Fondation Bettencourt Schueller.
Quelle est la nature de ce projet spécifique ?
Sam Stourdzé : Le cahier des charges s’articule autour d’une double mission : le réaménagement mais aussi une manière de repenser les usages en conservant les différents espaces (cuisine, salle de bain.). A l’intérieur de cela, tout est possible : dessiner une ligne de mobilier, créer un carrelage, intervenir en ferronnerie, inventer des objets... Sachant que ces chambres ne recèlent pas de décor classé à respecter, ce qui laisse libre cours à une grande créativité.
En partenariat avec la Fondation Bettencourt Schueller, le Mobilier National et la Fondation Banque Populaire, la Villa a choisi de sélectionner, pour ce projet, des équipes spécifiques réunissant architecte, designer ou artiste, associé à un artisan d’art.
Ce projet participe à une juste reconnaissance des métiers d'art en tant que pratique artistique à part entière... Quel est votre regard sur le sujet ?
Sam Stourdzé : Il répond, de façon renouvelée, aux préoccupations de la Villa qui s’est toujours intéressée aux métiers d’art, mais avec une vision souvent restrictive. L’artisanat d’art a fait partie de nombreux projets mais les artisans ont été éclipsés au profit de grands artistes ou architectes, qui prenaient souvent seuls la lumière. Voilà pourquoi nous avons décidé de constituer des équipes où les métiers d’art sont au même niveau... Dans cette configuration, un architecte peut proposer de s’associer à un artisan d’art, comme l’inverse. Cette proposition constitue un signal fort - la volonté de placer sur un strict pied d’égalité les architectes, artistes ou designers et les artisans d’art. Une démarche qui s’inspire largement des modalités de Dialogues, l’une des récompenses du Prix pour l’Intelligence de la main® de la Fondation, qui distingue un duo créateur/artisan d’art.
Comment ce réaménagement va-t-il se mettre en place ? Et comment le jury est-il constitué ?
Sam Stourdzé : Neuf chambres sont concernées par l’appel d’offre, à raison de trois par année avec une livraison régulière jusqu’en 2025. Le jury est composé d’Hedwige Gronier, responsable du mécénat culturel de la Fondation Bettencourt Schueller; d’Hervé Lemoine, président du Mobilier national ; de Christine Macel, directrice du musée des Arts Décoratifs ; d’Alberto Cavalli, directeur exécutif de la Michaelangelo Foundation for Creativity and Craftmanship et commissaire général de Homo Faber, mais aussi de l’architecte et designer India Mahdavi, d’Isabelle de Ponfilly, présidente du conseil d’administration de l’Ecole des Arts Décoratifs et de moi-même.
Ce projet se double d'un programme de résidence dédié aux artisans d'art. Comment va se dérouler leur séjour ?
Sam Stourdzé : Les artisans d’art renforcent leur présence à la Villa Médicis avec deux nouvelles résidences annuelles, d’un mois chacune. Après un premier appel à concours, nous accueillons la tourneuse sur métal Mylinh Nguyen et le duo de designers Caterina et Marc Aurel - sachant que l’une des deux résidences est toujours réservée à un ancien lauréat du Prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la main®. Les lauréats vont découvrir ce qui fait les grands principes de notre lieu. La Villa Médicis n’est pas une école mais un espace unique de rencontres et d’inspiration, où les résidents sont libérés de leurs contraintes quotidiennes pour se concentrer sur la recherche et la création. Le tout avec la force d’une communauté, l’opportunité de rencontrer des pensionnaires d’autres disciplines, de vivre ensemble sur le même lieu... De nombreuses amitiés personnelles et professionnelles naissent ici et se prolongent par des interactions, des collaborations à venir.
Vous lancez également le programme pédagogique "résidences pro", à destination d'élèves de lycées français professionnels et agricoles. Avec quel objectif ?
Sam Stourdzé : Cette résidence accueille 300 élèves en 2022, elle va en recevoir 600 en 2023, venus des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Grand-Est. Nous œuvrons là encore en partenariat avec la Fondation Bettencourt Schueller et notre objectif est de valoriser les domaines d’excellence des filières professionnelles, en permettant à des jeunes parfois éloignés du monde de la culture de bénéficier de tout ce que la Villa peut apporter. Une ouverture sur le monde, des moments d’échange, l’entrée dans une communauté et, bien sûr, la découverte de Rome. Ce programme répond également à l’ambition sociale de la Villa.
Quelles sont, aujourd'hui, les missions de la Villa Médicis ?
Sam Stourdzé : Elle est le seul établissement français à l’étranger sous tutelle du ministère de la Culture. C’est une résidence à l’attention des artistes et des créateurs de toutes nationalités, même si leur dossier de candidature doit être rédigé en français, ce qui donne une notion très élargie de l’idée de francophonie. Elle répond au rayonnement de la culture voulu en son temps par André Malraux, puisqu’elle réunit un centre d’art, un lieu d’exposition et une salle de spectacle. Elle est également un espace de conservation et de valorisation d’un patrimoine exceptionnel, en ce qui concerne le bâti mais aussi un jardin remarquable de 7 hectares au cœur de Rome. Notre rôle est enfin d’établir un dialogue entre ces missions. Dans cet esprit, le concours de réaménagement, l’ouverture aux métiers d’art et l’accueil de Français inscrits dans des filières professionnelles s’inscrit dans cette dynamique.
Avec ces différents projets, les métiers d'art font une entrée remarquée au sein de la Villa, ou plutôt un juste retour car l'histoire des lieux est intimement liée à celle de l'artisanat...
Sam Stourdzé : En effet. La Villa - connue aussi sous le nom d’Académie de France à Rome - a été imaginée par Colbert pour structurer les arts et les artisanats français autour de manufactures et d’académies. L’idée était d’envoyer des artistes et artisans se former en Italie, pour éduquer les étudiants formés en France. Des copies de statues ou de fresques réalisées à Rome étaient ainsi envoyées à l’école des Beaux-Arts de Paris avec une vocation pédagogique (les fameux envois de Rome), et font aujourd’hui partie de la richesse de la collection de l’école. La Villa a ensuite connu une nouvelle impulsion grâce à André Malraux qui a posé les jalons d’une résidence repensée, inscrite dans son temps. Un lieu mobile, ouvert, où les métiers d’art ont plus que jamais leur place.
Vous avez largement œuvré avec la Fondation Bettencourt Schueller pour ces projets. Comment envisagez-vous ce partenariat ?
Sam Stourdzé : La Villa a déjà collaboré avec la Fondation par le passé, pour la restauration de certains espaces. Mais aujourd’hui, nous annonçons un partenariat beaucoup plus ambitieux, avec un accompagnement sur plusieurs années. La Fondation nous offre un soutien précieux, mais aussi son expertise unique dans le domaine des métiers d’art, domaine où elle est engagée depuis plus de 20 ans. Par ailleurs, nous sommes également associés à d’autres partenaires pour le réaménagement des chambres d’hôtes - le Mobilier national et la Fondation Banque Populaire…
La Villa Médicis joue également un rôle d'ambassadeur de la culture française. Comment allez-vous intégrer les métiers d'art dans cette mission ?
Sam Stourdzé : La Villa accueille environ 100 000 visiteurs par an. Elle constitue une formidable vitrine en Italie, en France et à l’international. Dans ce contexte, les nouveaux résidents métiers d’art vont bénéficier d’une formidable visibilité. Depuis 350 ans, la Villa Médicis accueille des créateurs et leur offre un moment unique pour se ressourcer. Qu’on y réside quelques semaines ou une année, on reste marqué à vie par un passage à la Villa Médicis !
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