Créée en 2008, l’Association pour l’Amitié (APA) développe un modèle de colocation solidaire, proposant à des jeunes actifs de vivre avec des personnes auparavant sans domicile fixe. Aussi humaniste qu’efficace, l’expérience apporte une réponse concrète à l’isolement qui sévit dans nos sociétés, montrant à quel point un toit, mais aussi un lien social, sont essentiels pour reprendre pied. Notre reportage, à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle colocation 68 rue des Plantes, à Paris, largement soutenue par la Fondation

Dans cette longue rue des Plantes, un immense mur couvert de fleurs sert de repère. Il faut alors traverser la rue et pénétrer au numéro 68, dans un bâtiment mis à disposition de l’Association pour l’Amitié par les religieuses de l’Assomption. Parfaitement restaurée et aménagée en appartements, cette belle maison abrite la tout dernière colocation solidaire inaugurée par l’APA, à la tête désormais d’une trentaine de structures de ce type, à Paris et en Ile-de-France. 

« Ce lieu est le plus important puisque nous y accueillons près de 100 personnes mais le principe est partout le même », explique Thibaut de Lorgeril, modérateur de l’APA. « Nous proposons à de jeunes actifs de partager le quotidien de personnes en grande précarité en emménageant dans un même appartement, parfaitement conçu pour ce type de cohabitation. Nous aidons ainsi les personnes sans abri à sortir de l’exclusion en leur proposant un logement et une présence. L’expérience a prouvé qu’un toit, mais aussi un lien social, sont déterminants pour aider à reprendre pied. Elle nous a aussi montré que le mélange de générations, d’origines, de milieux et de cultures se révèle une expérience extraordinaire pour tous, et pas seulement pour les plus fragiles ».

  • Déjeuner du dimanche à l'Association pour l'Amitié, rue des Plantes à Paris.
    © Gilles Coulon / Tendance Floue
  • Déjeuner du dimanche à l'Association pour l'Amitié, rue des Plantes à Paris.
    © Gilles Coulon / Tendance Floue
  • Déjeuner du dimanche à l'Association pour l'Amitié, rue des Plantes à Paris.
    © Gilles Coulon / Tendance Floue
  • Colocataires lors du déménagement dans les nouveaux logements de l'APA, rue des Plantes à Paris.
    © Gilles Coulon / Tendance Floue
  • Colocataires lors du déménagement dans les nouveaux logements de l'APA, rue des Plantes à Paris.
    © Gilles Coulon / Tendance Floue
  • Colocataires lors du déménagement dans les nouveaux logements de l'APA, rue des Plantes à Paris.
    © Gilles Coulon / Tendance Floue
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Des logements parfaitement adaptés, et des règles de vie bien précises. 

La maison du 68 rue des Plantes réunit 7 appartements (3 pour les femmes, 4 pour les hommes) qui permettent d’accueillir chacun de 6 à 12 colocataires. Tous disposent d’une chambre personnelle et partagent des espaces communs, une cuisine, un grand salon, une salle à manger et une salle de bain. Par ailleurs, le lieu abrite également 24 studios « tremplin » (pour une adaptation à une vie plus autonome) et 4 appartements pour les familles responsables, chargées de veiller au bon fonctionnement de la colocation. 

Les personnes en grande précarité qui rejoignent ces lieux sont essentiellement adressées par le SIAO (Service intégré d’accueil et d’orientation de Paris) et des associations partenaires. La sélection repose sur un critère essentiel, leur désir et leur capacité de vivre avec d’autres personnes, dans un esprit communautaire. « Nos colocataires peuvent rester chez nous le temps qu’ils le souhaitent, la moyenne étant de deux ans », précise Marie Leduc, l’une des responsables de la maison. Ceux qui perçoivent le RSA s’acquittent d’un loyer de 330 euros (moins les allocations de logement sociales) et participent aux frais (80 euros) pour les diners communs. Ceux qui n’ont aucun revenu sont accueillis gratuitement. Les jeunes actifs s’acquittent également d’un loyer (510 euros) et des mêmes frais. Leur présence ne répond pas à une nécessité économique mais à un vrai désir. 

L’expérience de Gauthier, 31 ans et colocataire de l’APA depuis deux ans en atteste : « Je suis originaire de Paimpol et j’ai dû venir à Paris pour travailler. Je n’avais pas envie de vivre seul ni de partager une coloc ordinaire avec des gens de mon âge et de mon milieu. J’avais entendu parler de l’association, je voulais me rendre utile. J’ai postulé sur internet et je me suis installé tout d’abord dans la maison de la rue de Vaugirard avant de rejoindre celle de la rue des Plantes, il y a quelques semaines ».

La vie en commun pour reprendre pied, et se reconstruire. 

Dans cette nouvelle maison, vaste et lumineuse, les colocataires ont déjà pris leurs marques, beaucoup étant aussi des anciens de la colocation de la rue de Vaugirard, qui vient tout juste de fermer ses portes. Ils retrouvent ici les mêmes règles de vie, indispensables et structurantes – pas d’alcool, pas de drogue et pas de télévision, afin de favoriser les échanges. Le nettoyage des espaces communs est effectué à tour de rôle, tout comme les courses. En dehors du diner de coloc obligatoire chaque mercredi, un repas d’étage est proposé le vendredi, incluant les voisins et amis, et un dîner mensuel réunit tous les colocataires de la maison, organisé dans la grande salle du sous-sol qui sert également aux ateliers régulièrement organisés (photo, musique, jeux…). 

En dehors de ces rendez-vous, les échanges informels entre les colocataires sont multiples, le temps d’un café, de la préparation d’un repas... Les paroles sont d’abord rares mais, derrière la pudeur des mots, affleurent vite le passé et ses douleurs, la lente descente jusqu’à la rue, la violence et la solitude liées de l’exclusion. 

« J’ai d’abord perdu mon job » raconte Patrick, 50 ans, « et puis, tout est allé très vite. J’ai été en fin de droits, ma femme a quitté la maison. Je n’ai pas pu payer mon loyer et je me suis retrouvé à la rue avant de découvrir l’APA. J’ai été hébergé quelques mois rue de Vaugirard avant d’emménager ici. Grâce à l’association, j’ai un toit sur la tête, mais aussi des amis. On est ensemble, on s’entraide. Maintenant, je me sens mieux et j’ai envie de retrouver ma vie d’avant ».

Des objectifs ambitieux, mais toujours réalistes. 

La réinsertion n’est cependant pas l’unique but de l’association. Ce qui compte pour l’APA, c’est de rendre aux gens les moyens de vivre dignement, de veiller à ce que chacun se sente bien. Certains colocataires auraient beaucoup de mal à retrouver une vie active, d’autres sont trop âgés pour envisager cela. Ce fut notamment le cas de Jean-François, arrivé à l’APA à 62 ans. « L’enjeu a été de réactiver ses droits pour lui donner accès à la retraite » se souvient Thibaut de Lorgeril, « il est resté avec nous quelques mois mais son désir était de bénéficier d’un logement social. Pour lui, c’était ça la réussite. Cela fait plus de vingt ans qu’il n’avait pas eu un lieu à lui... Il est très heureux et a gardé des liens très forts avec la coloc. Il vient plusieurs fois par semaine, participe à nos diners solidaires ». 

Grâce à cette vie plus protégée, d’autres, souvent plus jeunes, retrouvent le désir de se relancer dans une activité. Afin de les accompagner de façon personnalisée, l’association emploie sept travailleurs sociaux, avec de vrais succès à la clé. « Je pense notamment à l’exemple de Marie » raconte Thibaut de Lorgeril, « arrivée à 45 ans dans la colocation, elle a très vite repris pied et nous a parlé de son envie de décrocher un emploi, pour aider les autres. Adolescente, elle n’avait pas eu l’opportunité de faire des études. Elle a suivi deux ans de formation et travaille désormais comme auxiliaire de vie dans un EHPAD. Elle se sent utile, elle prend des responsabilités, et elle est très heureuse ».

Une jeune génération qui dynamise le groupe et lui infuse sa vitalité. 

Pour tous, la présence des jeunes actifs constitue une ouverture sur le monde, qui fait aussi ressurgir les désirs. Les jeunes colocs sont très à l’écoute, n’hésitant pas à parler de leur job et du plaisir qu’ils en tirent. Entre deux rendez-vous avec le travailleur social, ils sont aussi là pour peaufiner un CV si nécessaire ou calmer une inquiétude avant un entretien ou le premier jour d’une formation. Mais le vrai lien n’est pas seulement là. Il tient aussi à une relation équilibrée, naturelle, qui se tisse entre tous les membres de cette communauté. Un lien du quotidien, comme le raconte Gauthier. 

« Ce que j’aime ici, c’est la simplicité des relations. On se parle mais on respecte les silences de chacun. On s’entraide mais on ne s’oblige à rien. Les échanges sont libres et joyeux, ils nous apportent beaucoup. Aujourd’hui, mon salaire me permettrait de louer un logement confortable mais j’ai envie de rester encore un peu. J’ai l’impression que mes colocataires ont besoin de moi mais, au fond, j’ai aussi besoin d’eux ».

Ce qu’il faut retenir de l’Association pour l’Amitié…

  • Au 68 rue des Plantes : 51 personnes sans domicile fixe, 37 jeunes volontaires et 4 familles. 
  • Pour l’ensemble des lieux de l’APA : 291 places en colocation et studios : 178 personnes sans domicile fixe et 113 jeunes volontaires.
  • 31 colocations et 45 studios implantés à Paris, Villejuif, Saint-Denis, Saint-Ouen, Bagneux, Montrouge et Viroflay. 
  • Une association « sœur », Lazare, chargée du développement en région et à l’étranger. 

La Fondation Bettencourt Schueller soutient l’initiative à la fois pour le financement des travaux de rénovation et d’aménagement du bâtiment de la rue des Plantes mais aussi pour les charges de fonctionnement de la structure.

Site web de l'Association pour l'Amitié